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Publié par pascalemmanuel

Cela faisait longtemps que je n'avais pas écouté L'Info en question et le dernier avec Valérie Bugalut m'a beaucoup inspiré au point de lui avoir envoyé un long message que voici :

Un jour j'ai entendu un professeur de philosophe du droit de l'université d'Aix en Provence dire que la pensée juridique cherchait les raisons. Je ne sais pas si c'est vrai mais cela je me suis reconnu et le fait est que j'éprouve souvent un certain plaisir à écouter les « juristes » ; en général ils sont plutôt éloquents et leur pensée claire et argumentée. En outre, derrière, il y a aussi le besoin de justice et la compréhension qu'il y a une certaine vérité à cette célèbre maxime qui dit qu'où s'arrête le droit commence la barbarie. J'ai donc écouté avec une certaine attention plusieurs de vos interventions et la chose la plus intéressante pour moi et de m'avoir retiré quelques illusions en éclaircissant les notions de république, d'état de droit, de séparation des pouvoirs... ce en quoi je vous suis très reconnaissant. Redonner le sens juste aux mots est un point très important dans l'éducation populaire.

Maintenant, il y a aussi des éléments de votre discours que je ne comprends pas et d'autres avec lesquels je me sens en désaccord. Notez que je n'attends pas une réponse personnelle de votre part, j'imagine que votre emploi du temps est suffisamment chargé comme cela, mais mon courrier vous permettra peut-être de clarifier certains points dans vos interventions ultérieures car ce que je ne comprends pas, assurément d'autres ne le comprennent pas non plus. Or, pour faire avancer votre projet, vous devez réussir à le faire comprendre.

Dans votre intervention à L'Info en question, Jean-Jacques Crèvecoeur vous a interrogé sur la transition entre notre système actuel et votre système. Je crois avoir bien compris votre réponse sur le fait que votre proposition n'aurait pu être entendu 40 ans auparavant mais au-delà de ça, je trouve que vous n'avez pas vraiment répondu à la question.

Par exemple, j'aime beaucoup aussi écouter Étienne Chouard qui a aussi une réflexion profonde sur nos institutions et, à mon avis, quelques arguments en béton armé. Si vous aviez dit qu'une constitution serait écrite à partir de votre projet et qu'elle serait soumise aux votes des français, j'aurais une vague idée comment pourrait se passer la transition entre notre système et celui que vous proposez, mais vous n'avez pas répondu cela alors je ne sais toujours pas comment votre système pourrait concrètement se mettre en place.

D'ailleurs, je vous ai rarement entendu parler de la Constitution en tant que tel et c'est pourtant le texte majeur, essentiel, primordial... de toute société car c'est lui qui fixe les règles générales de l'exercice du pouvoir. Est-ce que je me trompe ? Donc, me semble t-il, toute votre vision des choses sur l'avenir de notre société devrait se concrétiser dans une constitution nouvelle... qui résume, met en forme, explique... votre vision des choses. Je ne vois pas comment cela pourrait se faire autrement.

Mais ce n'est pas ce qui me chiffonne le plus. Dans cette émission, il vous a aussi été demandé ce que vous pensiez du projet de Bernard Friot sur le salaire à vie. Vous avez répondu que vous ne le connaissiez pas et que vous aviez travaillé seule, tout en nuançant avec le fait que vous aviez aussi une équipe qui travaillait sur le changement monétaire.

Mais pourquoi devrions-nous soutenir votre projet et non celui d'un autre ? Ce pays ne manque pas de penseurs ayant réfléchi sur les institutions et la monnaie ou sur d'autres choses et si cela se trouve, le projet d'Étienne Chouard est meilleur ou plus simple que le votre. Je parle de lui par ce qu'il est connu mais il n'est certainement pas le seul. Par exemple, j'ai récemment découvert Pierre Gentillet qui avait aussi une réflexion très intéressante sur les notions d'état de droit. De même, l'équipe de Réinfo Covid a publié plusieurs vidéos avec des partages de fond sur différents aspects de la question monétaire. Pourquoi vous écouter vous, vous suivre vous... et non quelqu'un d'autre ? Ce qui m'embête un peu, avec les différents intellectuels, c'est une apparente impossibilité de travailler ensemble. Si l'ensemble des experts en un domaine, le droit, les institutions, la monnaie… se réunissaient, réfléchissaient et établissaient une proposition commune, cela aurait, à mon avis, beaucoup plus de poids.

Personnellement, je ne suis pas vraiment qualifié pour répondre sur le fond à votre projet. D'une part je ne l'ai pas étudié de près et il me manque des informations historiques, juridiques, philosophiques... pour avoir un jugement sûr. Je serais curieux de savoir ce qu'en pense d'autres « experts ».

Mais au-delà de ça, quand bien même vous auriez le satisfecit d'autres penseurs, je resterais perplexe. La constitution de 1958 a été écrite et proposée clefs en main au peuple qui s'est contentée de l'approuver passivement. Ce sera la même chose. Le projet que vous avez présenté, est-ce que le peuple y a participé ? Ce qui me semble intéressant, plus que le résultat, c'est le processus d'émancipation, lui-même, en tant que tel, la réflexion progressive qui permet d'arriver à un résultat. Vous avez regardé la situation, réfléchi depuis des années et vous êtes arrivé à ce résultat qu'il faudrait faire ceci. Mais le peuple n'en est pas là dans sa réflexion collective et c'est encore quelque chose qui lui descend tout cuit d'en haut.

Je ne sais pas, mais je me dis qu'un collectif de citoyen qui se réunirait pour réfléchir ensemble à la situation et proposer des solutions arriverait peut-être à un projet meilleur que le vôtre, et en tout cas, qui émergerait d'en bas car après tout, apparemment, la vie semble jaillir du sol.

J'avoue que, pour le moment, je ne comprends pas vraiment la légitimité ou la pertinence de votre système. Ce dont je suis davantage certain c'est que notre sytème va probablement s'effondrer et en tout cas que nous sommes dans un très-très puissant changement de conscience.

Et puis, vous avez aussi expliqué un peu plus votre idée des groupements d'intérêts et là encore, sur deux points, je suis réservé.

D'une part, vous avez expliqué que nous ne pourrions pas changer plus de deux ou trois fois de groupement pour ne pas accentuer la lourdeur administrative. Je trouve cela très contraire à la vie elle-même. Il y a des cycles dans la vie. Les aspirations à 20 ans, 40 ans, 60 ans sont très différentes. De même, il est tout a fait possible de se passionner à fond pendant quelques années sur un sujet, la danse classique pour reprendre l'exemple que vous donniez, et puis, après en avoir fait un peu le tour, changer complètement de centre d'intérêt. Et ça, cela peut se produire de nombreuses fois dans une vie. Et parfois, une simple rencontre humaine a le pouvoir de tout chambouler dans notre vie au point de la réorienter dans une toute autre direction. Bref, cette idée que nous ne pourrions changer que deux ou trois fois me semble tout à fait rigide issue de la conscience mentale et que cela ne correspond pas à une vérité très profonde. Je crois au contraire qu'il faille le minimum de règles et des règles aussi souples que possible. Aussi, sur ce point de votre projet, une certaine amélioration me semble possible et souhaitable.

D'autre part, vous dîtes aussi que chaque groupement d'intérêt définira ses propres règles. Je ressens qu'il y a un intérêt positif à cela mais ma première réaction, et assez forte, presque d'instinct, c'est le rejet. Cela me rappelle une parole d'Étienne Chouard avec laquelle je suis assez d'accord : les règles du pouvoir ne peuvent pas être écrites pas les gens de pouvoir. Ainsi, selon vous, par exemple, le « groupement médical » devrait faire ses propres règles ! ! ! Avec la crise que nous traversons actuellement, c'est le contraire qui m'apparaît comme évident et nécessaire. De même, je peux très bien imaginer que le groupement d'intérêt des viticulteurs, des industriels du tabac, de l'industrie du sexe et de la malbouffe aurait... tout intérêt à avoir des règles minimales pour vendre au mieux leurs produits. Alors que, selon moi, l'intérêt supérieur de la nation, de la conscience humaine, individuelle et collective serait que la consommation d'alcool, de tabac, de sexe et de mal bouffe descende progressivement au plus bas. Pour moi, vraiment, un groupement d'intérêt ne peut pas définir lui-même ses propres règles. Je trouve que votre idée est potentiellement... dangereuse. La nature humaine étant pour l'instant ce qu'elle est, un groupement d'intérêt peut tout à fait être corrompu.

Pour moi, clairement, il y a un hiérarchie dans la conscience et mon idéal serait davantage un groupement-gouvernement de sages, bien que je ne comprenne pas comment cela pourrait se mettre en place. Pour moi, devraient gouverner les êtres ayant la conscience la plus vaste, la plus profonde, la plus haute, la plus subtile, la plus juste, la plus sincère, la plus vraie... et ce n'est ni une question de richesse matérielle, de force vitale, d'érudition intellectuelle et encore moins de religion. Pour moi, le point central, premier, décisif, c'est l'évolution-transformation de la conscience. C'est parce que nous changeons de conscience que nous devons changer de constitution, changer les institutions et à ce titre je suis à l'écoute des possibilités qui se manifestent, dont la vôtre. Mais l'inverse n'est pas nécessairement vrai, ce n'est pas parce que nous changerons les institutions que nécessairement la conscience changera.

Pour terminer, voici quelques paroles très inspirantes pour moi.

Les conditions dans lesquelles les hommes vivent sur terre sont le résultat de leur état de conscience. Vouloir changer les conditions sans changer la conscience est une vaine chimère.

La Mère

Et quelques autres de Sri Aurobindo où il évoque la question des institutions.

22 septembre 1907

Il est dans la nature des institutions humaines de dégénérer, de perdre leur vitalité et de se décomposer ; et le premier signe de la décomposition, c’est une perte de flexibilité et l’oubli de l’esprit qui a présidé à leur conception. L’esprit est éternel, le corps change ; et un corps qui refuse de changer n’a plus qu’à mourir.

*

Juillet 1918

La clef de l’énigme n’est pas l’ascension de l’homme au ciel, mais, au contraire, son ascension ici-bas en l’esprit et la descente de l’Esprit dans son humanité ordinaire, une transformation de la nature terrestre. C’est cela, et non quelque salut post mortem, qui est la véritable nouvelle naissance attendue par l’humanité comme le couronnement de sa longue marche obscure et douloureuse.

Par conséquent, les individus qui aideront le plus l’avenir de l’humanité en cet âge nouveau, seront ceux qui reconnaîtront qu’une évolution spirituelle est la destinée de l’être humain, et donc son besoin le plus profond... Ils ne commettront surtout pas l’erreur de croire que ce changement peut s’opérer par un mécanisme et des institutions extérieures ; ils sauront et n’oublieront jamais qu’il doit être vécu intérieurement et par chaque homme, sinon il ne deviendra jamais une réalité pour l’espèce...

*

Décembre 1918

Ce ne sont pas des rafistolages n’ayant de la liberté que les apparences qui pourront nous aider ; la nouvelle structure, toute imposante qu’elle soit, ne deviendra qu’une autre prison dont il faudra se libérer par une nouvelle lutte. La seule sécurité pour l’homme, c’est d’apprendre à vivre du dedans au dehors, sans compter sur des institutions ou des systèmes pour le perfectionner, mais en s’appuyant sur une perfection intérieure progressive pour façonner une forme et un cadre de vie plus parfaits... 

*

18 janvier 1939

Il y a une solution spirituelle que je propose ; mais elle vise à changer la base entière de la nature humaine. Il ne s’agit pas de soutenir un mouvement, et ce n’est pas non plus une affaire de quelques années : il ne peut y avoir de vraie solution à moins d’établir la spiritualité comme base de la vie.

Il est clair que le Mental n’a pas été capable de changer radicalement la nature humaine. Vous aurez beau changer indéfiniment les institutions humaines, l’imperfection réussira à saper toutes vos institutions.

Voilà ce que j'avais à dire, en espérant que vous y trouverez quelque intérêt et quelque utilité pour nourrir votre propre réflexion.

Bien cordialement à vous et un grand merci très sincère pour votre contribution à l'émancipation collective.

Pascal

Quelques heures plus tard...

Il m'est revenu en mémoire un autre point. Dans une autre interview, elle expliquait que tout le mal, façon de parler, je ne me souviens plus de ses mots exacts, avait commencé avec le début des banques centrales et que dans son système, elles seraient supprimées ou remplacées. Peut-être, je ne suis pas un expert mais cela m'a rappelé avoir entendu il y a quelques années un débat sur la question monétaire et l'un des intervenants expliquaient que ce n'était pas la banque centrale le problème, mais les directives qu'on lui donne, les missions qu'on lui attribue.

Comme quoi, sur ce point-là aussi, ce que Valérie Bugault avance, mérite au moins réflexion. Ainsi, déjà, les "experts" entre eux ne sont pas d'accord sur ce qu'il conviendrait de faire. Pour ma part, puisque en droit, on peut théoriquement tout faire, je me suis dit que l'on pourrait, ce n'est qu'un exemple approximatif, établir que la gestion de la banque centrale se fera par un collectif de citoyens  élus et reconnus comme ayant des compétences en ce domaine... 

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