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Publié par pascalemmanuel

Dans la foulée de l'article précédent N'arriver à rien, qui se terminait par un extrait du Livre 7 – Chant 6 de Savitri, dont ces deux passages....

Ne crains point d’être rien pour que tu puisses être tout ;

Consens au vide du Suprême

Pour que tout en toi touche son absolu.

Accepte d’être rien et personne,

Dissous l’œuvre du Temps

Dépouille ton mental, retire-toi des formes et des noms.

Annule-toi toi-même pour que Dieu seulement puisse être.

.... je poursuis dans la même vibration avec quelques extraits de l'Agenda dans lesquels Mère parle du sens de la personne et de l'absence de réactions personnelles. Très attaché à notre "petite personne", c'est difficile pour nous d'entrer dans cette conscience impersonnelle. La force contenue dans ces Agendas peut nous rapprocher de la porte de cette conscience impersonnelle. Si ça se trouve, pour la conscience, c'est comme apprendre à plonger dans le vide. La première fois, ça fou la trouille, ensuite, on s'aperçoit que sans doute, c'est beaucoup mieux... 

Agenda du 19 mai 1961

C’est nuit et jour, et jour et nuit, quand je vois les gens, quand je ne les vois pas...

Quand je suis toute seule, alors c’est admirable ! Ce corps, dès qu’il est tout seul, oh!... c’est comme s’il fondait – comme cela, fondait. Il n’y a plus de limites, il est content : «Oh ! enfin, je peux ne plus être!»

Et alors, vraiment – vraiment il s’oublie ; vraiment ça passe à autre chose.

Agenda du 14 décembre 1963

Les gens lisent avec leur tête, avec leur cerveau.

Je vois des gens comme N, qui est évidemment un sujet exceptionnel en ce sens qu'il vibre à la vibration intellectuelle (Sri Aurobindo disait, et c'est évident, que de tous ceux qui l'entouraient, c'était lui qui comprenait le mieux), eh bien, même lui... ça passe en tangente. Ce n'est pas qu'il ne comprend pas du tout mais c'est en tangente. C'est une compréhension mitigée, un tout petit peu déformée et qui ramène tout au sens de la personne, de l'individu (de Mère), et alors ça perd toute L'ESSENCE de sa valeur...

Ce que je voudrais arriver à communiquer, c'est justement cette absence d'individu ; mais quand je m'exprime, je suis obligée de dire «je», la phrase a toujours une tournure personnelle, et c'est ça que les gens voient.

Quand j'ai mon expérience, elle est là, elle est vivante, là ; toi, tu la sens, et avec un petit mouvement d'adaptation tu supprimes la déformation du langage, mais les autres ne le font pas.

🪷

Agenda du 4 août 1965

Mais toujours, l'aspiration était de recevoir la vraie chose. Mais ça arrive, il y a un moment où ça arrive clair-clair – clair – pour tout, même pour les toutes petites choses de la vie quotidienne : «Fais ça, ça, ça...»

Oui, c'est ça qu'il faut

Mais je dois dire que c'est le résultat d'années d'effort – pas d'effort : de vigilance. De vigilance : ne pas oublier que c'est ça que l'on veut, et que l'autre façon est simplement un pis-aller en attendant.

En tout cas, il est tout à fait certain (Sri Aurobindo l'a écrit quelque part, je l'ai lu il y a deux ou trois jours encore), tout à fait certain que le Seigneur ne veut pas d'automates qu'il pousse. Ce n'est pas cela qu'il veut : Il veut une collaboration consciente. Seulement, il y a un moment où le sens de la personne disparaît vraiment ; on continue à dire «je» parce que comment s'exprimer ?

Mais quand on dit «je», on a le sentiment (pas la pensée – la pensée, ça prend beaucoup de temps), une espèce de sentiment de la Volonté supérieure qui se manifeste ici, à cet endroit-ci, avec ces moyens-ci. Ça vient après des années.

Agenda du 2 juin 1966

Oh ! j'ai eu une expérience, une nouvelle expérience. C'est-à-dire que ce sont les cellules du corps qui ont eu une nouvelle expérience.

Quand je me mets sur le lit, la nuit, c'est l'offrande de toutes les cellules, qui font un surrender [abandon] aussi complet qu'elles peuvent, régulièrement, avec une aspiration non seulement à l'union mais à la fusion : qu'il n'existe plus que le Divin. C'est régulier, c'est tous les jours, tous les jours.

Et depuis quelque temps, c'était comme si ces cellules, ou cette conscience corporelle (mais qui n'est pas organisée comme une conscience : c'est comme une conscience collective des cellules) se plaignait un peu, disait : «Mais nous ne sentons pas grand-chose.

Nous sentons (elles ne peuvent pas dire qu'elles ne sentent pas : elles se sentent protégées, supportées), mais enfin...»

Elles sont comme des enfants, elles se plaignaient que ce n'était pas spectaculaire : «Ça DOIT être merveilleux» (Mère rit). Ah ! bien. Alors la nuit d'avant-hier, elles étaient dans cet état-là en se couchant.

Je n'ai pas bougé du lit jusqu'à près de deux heures du matin, et à deux heures du matin je me suis levée, et je me suis tout d'un coup aperçue que toutes les cellules, tout le corps (mais c'est vraiment une conscience cellulaire, ce n'est pas une conscience corporelle ; ce n'est pas la conscience de telle ou telle personne : il n'y a pas de personne, c'est la conscience d'un agglomérat cellulaire), cette conscience-là se sentait baignée et en même temps traversée par un pouvoir MATÉRIEL d'une vélocité fan-tas-ti-que, qui n'a aucun rapport avec la vélocité de la lumière, aucun : la vélocité de la lumière est quelque chose de lent et de tranquille à côté.

Fantastique ! fantastique ! Quelque chose qui doit ressembler au mouvement de là-bas, des centres... (Mère fait un geste lointain dans l'espace galactique). 

C'était tellement formidable ! Je suis restée bien tranquille, immobile, assise, bien tranquille ; et tout de même, aussi tranquille que je pouvais l'être, c'était tellement formidable, comme quand on est emporté par un mouvement et que l'on va si vite que l'on ne peut pas respirer. Une espèce de malaise ; non pas que je ne pouvais pas respirer, il ne s'agit pas de cela, mais les cellules avaient l'impression d'être suffoquées tellement c'était... c'était formidable.

Et avec une sensation de pouvoir en même temps, d'un pouvoir auquel rien-rien-rien ne peut résister, d'aucune façon.

Alors, j'avais été tirée de mon lit (je m'en suis aperçue) pour que la conscience CORPORELLE (note la différence, ce n'est pas la conscience des cellules : c'est la conscience corporelle) enseigne aux cellules comment faire le surrender et leur dire : «Il n'y a qu'une façon : un surrender total, et alors vous n'aurez plus cette sensation de suffocation.»

Et il y a eu une petite concentration, comme une petite leçon. C'était très intéressant, une petite leçon : comment il faut faire, ce qu'il faut faire, comment s'abandonner totalement. Et quand j'ai vu que c'était compris, j'ai été me recoucher.

Et alors, j'ai été dans ce Mouvement depuis ce moment-là (il était deux heures, deux heures vingt), jusqu'à cinq heures moins le quart, sans un arrêt !

Et ce qui a été particulier, c'est que quand je me suis levée, il y avait dans cette conscience, à la fois cellulaire et un peu corporelle, le sens de l'Ananda [la joie divine] de tout ce qu'il faisait : se lever, marcher, se laver les yeux, se brosser les dents... Pour la première fois de ma vie, j'ai senti l'Ananda (un Ananda tout à fait impersonnel), un Ananda de ces mouvements. Et alors avec le sentiment : ah! c'est comme cela que le Seigneur s'amuse.

Ce n'est plus au premier plan (c'était au premier plan pendant une heure ou deux pour me faire comprendre), maintenant c'est un peu à l'arrière-plan.

Mais tu comprends, avant, le corps sentait que toute son existence était basée sur la Volonté, la soumission à la Volonté suprême, et l'endurance. Si on lui demandait : «Ça te fait plaisir, de vivre ?», il n'osait pas dire non, parce que... mais cela ne lui faisait pas plaisir. Ce n'était pas pour son plaisir et il ne comprenait pas que cela puisse faire plaisir.

C'était une concentration de volonté dans une soumission qui s'efforçait d'être aussi parfaite – minutieusement parfaite – que possible, et un sentiment d'endurance : tenir bon, tenir bon, tenir bon. C'était la base de son existence.

Alors, quand il y avait des périodes de transition... qui sont toujours pénibles, comme, par exemple, pour passer d'une habitude à une autre, non pas au sens de changer d'habitude mais de passer d'un support à un autre, d'un mobile à un autre – ce que j'appelle le «transfert de pouvoir» –, c'est toujours pénible, cela arrive périodiquement (non pas d'une façon régulière mais périodiquement) et toujours au moment où le corps a rassemblé assez d'énergie pour que son endurance soit plus complète ; alors la nouvelle transition vient, et c'est pénible.

Il y avait cela, cette volonté et cette endurance, et puis: «Que Ta Volonté soit faite», et «Fais que je Te serve comme Tu veux, comme il faut que je serve, que je t'appartienne comme Tu veux», et puis «Qu'il n'y ait plus que Toi, que le sens de la personne disparaisse» (et vraiment, cela avait diminué considérablement).

Et ça, c'était une soudaine révélation : au lieu de cette base d'endurance – tenir à tout prix –, au lieu de cela, une espèce de joie, de joie très tranquille mais très souriante, très souriante, très douce, très souriante, très charmante – charmante! si innocente, quelque chose de si pur et de si joli : la joie qui est dans toutes les choses, dans tout ce que l'on fait, tout-tout. À ce moment-là, on m'a montré : tout-tout-tout, il n'y a pas une vibration qui ne soit une vibration de joie. C'est la première fois.

Et alors, le résultat est... (riant) que le corps se porte un peu mieux ! Il sent moins cette tension. Mais on lui a recommandé d'être bien tranquille, bien tranquille, pas d'excitation surtout, pas de «joie» comme l'on a d'habitude (la joie vitale qui se sent et qui s'exprime), pas de cela, rien de tout cela: très tranquille, très tranquille. C'est quelque chose qui est si pur, oh!... si translucide, transparent, léger...

C'est la première fois que je sens cela physiquement. C'est-à-dire que c'est la première fois que ces cellules ont cette expérience.

N'est-ce pas, avant, elles sentaient toujours, dans le pouvoir et dans la force, elles sentaient le support du Seigneur, elles sentaient que c'était à cause de Lui qu'elles existent, que c'est par Lui qu'elles existent, c'est en Lui qu'elles existent ; tout cela, elles le sentaient ; mais pour être en état de sentir, il fallait être d'une endurance – une endurance absolue, tout endurer. Maintenant, ce n'est pas cela ; ce n'est pas cela, il y a quelque chose qui rit, mais qui rit d'une façon si douce, si douce, qui est, oh ! extraordinaire-ment amusé, qui est là-derrière, et c'est léger-léger-léger – tout le poids de cette tension a disparu.

Et c'est le résultat de ce «passage» formidable : un passage qui emportait les cellules ; ce n'était pas que les cellules étaient immobiles et que ça passait au travers. : elles étaient DANS le Mouvement, elles allaient avec cette même vélocité – fantastique vélocité – d'une luminosité éblouissante et d'une rapidité inimaginable, sentie comme cela, matériellement. Cela dépassait toute la possibilité de sensation ordinaire. Ça a duré des heures.

Agenda du 18 février 1967

Une fois, il y a fort longtemps, Sri Aurobindo me parlait de lui-même, c'est-à-dire de son enfance, de sa formation, alors je lui ai posé la question, je lui ai dit : «Pourquoi, comme être individuel, suis-je si médiocre ? Je peux tout faire ; tout ce que j'ai essayé de faire, je l'ai fait, mais jamais d'une façon supérieure : toujours comme cela (geste moyen). »

Alors il m'a répondu (je l'ai pris à ce moment-là pour une gentillesse ou de la commisération) : «C'est parce que ça donne une grande souplesse – une grande souplesse et une grande étendue ; parce que, quand on a une perfection, on est concentré et on est spécialisé.»

Comme je dis, je l'ai pris simplement comme on fait une caresse à un enfant pour le consoler. Mais maintenant, je m'aperçois que ce qu'il y a de plus important, c'est de n'avoir aucune fixité : que rien ne soit fixe, définitif, comme le sentiment d'une perfection dans la réalisation – ça, c'est l'arrêt complet de la marche en avant.

Le sentiment de l'incapacité (au sens que j'ai dit, de la médiocrité, de la chose qui n'a rien d'exceptionnel) vous laisse dans une sorte d'attente (geste d'aspiration vers le haut) de quelque chose de mieux.

Et alors, ce qui est le plus important, c'est la souplesse – la souplesse, la souplesse. La souplesse et la largeur : ne rien rejeter comme inutile ou mauvais ou inférieur – rien ; ne rien établir comme vraiment supérieur et beau – rien. Rester toujours ouvert, toujours ouvert.

L'idéal, c'est d'avoir cette souplesse et cette réceptivité et cette soumission, c'est-à-dire acceptation de l'Influence, si totale que n'importe quoi peut venir, tout de suite l'instrument s'adapte naturellement, spontanément, sans effort, pour exprimer. Et pour tout, n'est-ce pas : dans les arts plastiques, dans la musique, dans l'écriture.

(silence)

La nature (de Mère) était plutôt timide et, justement, il n'y avait pas une très grande confiance dans la capacité personnelle (bien qu'il y ait eu le sentiment de pouvoir faire n'importe quoi, si nécessaire), et jusqu'à l'âge de vingt ans ou vingt et un ans, je parlais très peu, et jamais-jamais rien qui ressemblât à un discours. Je ne prenais pas part aux conversations : j'écoutais, mais je parlais très peu...

Si ! j'ai été mise en rapport avec Abdoul Baha (le «bahaï») qui était à Paris, et une sorte d'intimité s'est créée ; alors j'allais à ses réunions parce que cela m'intéressait, et un jour (j'étais dans sa chambre), il m'a dit : «Je suis malade, je ne peux pas parler : va, parle pour moi.» J'ai dit : «Moi ! mais je ne parle pas.» Il m'a répondu : «Tu n'as qu'à y aller, t'asseoir, rester tranquille, te concentrer, et puis ce que tu auras à dire te viendra. Va, fais-le, tu vas voir.»

Et alors (riant), j'ai fait comme il a dit. Il y avait une trentaine ou une quarantaine de personnes, je suis allée m'asseoir au milieu, et puis je suis restée bien tranquille, et puis voilà... Rien, je suis restée comme ça, sans penser. Et tout d'un coup, je me suis mise à parler, je leur ai parlé pendant une demi-heure (je ne sais même pas ce que je leur ai dit) et quand ça a été fini, tout le monde était très content ; et je suis allée le trouver, il m'a dit : «Tu as parlé d'une façon admirable.»

J'ai dit : «Ce n'est pas moi !» Et depuis ce jour-là (il m'avait donné le truc, n'est-ce pas !), je restais comme cela, bien tranquille, et puis tout venait. C'est surtout le sens de la personne qu'il faut perdre – ça, c'est le grand art dans tout, pour tout, pour tout ce que l'on fait: pour la peinture, pour... (j'ai fait de la peinture, de la sculpture, j'ai même fait de l'architecture, j'ai fait de la musique), pour tout-tout, si l'on est capable de perdre le sens de la personne, alors on est ouvert à... à la connaissance de cette chose (sculpture, peinture, etc.).

Ce ne sont pas nécessairement des personnes, mais c'est l'esprit de ça qui se sert de vous.

Eh bien, je crois que ce devrait être la même chose pour la langue. Il faudrait, comme cela, être branché avec quelqu'un, ou à travers ce quelqu'un, avec quelque chose de plus haut encore : l'Origine. Et puis : très-très passif. Mais pas passif-inerte : passif-vibrant, réceptif, comme ça, attentif ; laisser «ça» entrer et s'exprimer. On verrait bien ce que cela donnerait...

Comme je dis, on est limité par ce que l'on sait, mais peut-être est-ce parce que l'on est encore trop une personne et que si l'on pouvait être tout à fait plastique, cela pourrait être autrement : il y a eu des exemples de gens qui ont parlé une langue qu'ils ne connaissaient pas. Par conséquent...

C'est intéressant.

Pour tout, le grand secret, c'est que la conscience soit... LA Conscience : la Conscience sans limites.

Et alors, elle, elle fait mettre ça (l'instrument) en mouvement. Plus tard – plus tard quand la transformation aura lieu, quand elle sera totale et effective –, probablement, il y aura une collaboration consciente ; mais maintenant, ce n'est qu'un surrender, un don de soi, et ça se prête – ça se prête avec enthousiasme, avec joie –, ça se prête pour que LA Conscience se serve de ça.

Quand c'est comme cela, tout va bien.

Toutes les vieilles habitudes, oh!...

Et alors, vu comme cela, on s'aperçoit de l'absurdité totale des jugements, qui sont pour plus de 99% basés sur des vieilles habitudes : les vieilles habitudes de ce que l'on considère comme bon ou mauvais, bien ou mal, etc. ; le jugement automatique, l'acceptation ou le refus automatiques...

🪷

Agenda du 25 octobre 1969

Mais je suis convaincue que la première fois que je l'ai vu, il n'y a pas eu de différence pour lui : il était entièrement enfermé dans sa propre création. Seulement c'est entré, mais il n'a pas senti que c'était quelque chose de nouveau... N'est-ce pas, la subtilité du discernement vient d'un raffinement de conscience qui n'est pas à la portée de tout le monde. La subtilité de discernement.

Pour moi, ce qui est mystérieux, c'est que l'on puisse avoir la conscience divine et ne pas voir. Comment est-ce possible ? Parce qu'il a une conscience divine, c'est sûr. Mais comment ne voit-il pas ?

(Après un silence) 

Tel que je le vois, lui, c'est parce qu'il a besoin que ce soit manifesté par une conscience personnelle. Une «conscience personnelle», je veux dire quelqu'un (Mère) qui est «conscient de porter le Divin» et qui sent «je porte le Divin», tu comprends? Quand ça, ce n'est pas là (le Divin est là, c'est tout, mais il n'y a pas le «je suis le Divin»), il ne peut pas sentir.

Et je vais plus loin : je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'Européens ou d'Occidentaux qui puissent le sentir. Les Indiens, c'est à cause de l'atavisme. Et tous ceux qui sont westernized [occidentalisés] ne peuvent plus sentir. Ils ont besoin du sens de la personne, la personne qui dit: «Je suis», tu comprends. Mais ce corps... (riant) le corps a dépassé le stade où il dit «je suis» ! L'idée même le fait rire. C'est pour cela.

Agenda du 6 janvier 1968

Il a certainement attrapé quelque chose de ta vibration. On sent. Mais je ne sais pas ce que cela ferait, répété?... Si tu pouvais REDIRE quelque chose sur Savitri ?

Ah !... Mais, n'est-ce pas, je ne suis plus la même personne ! je ne dis plus les mêmes choses – c'est impossible. C'est impossible. J'ai regardé ; justement toute cette histoire est revenue maintenant comme une illustration de l'immense différence – immense, mais colossale différence – de l'état de conscience. Maintenant, pour moi [cette notation de Savitri], c'est tellement une vision personnelle des choses... Hier, j'ai eu une journée intéressante à ce point de vue.

C'est l'ego physique qui a été détruit et qui maintenant est comme cela (geste bras ouverts vers le haut)... 

Ça lui paraît drôle ! Je ne sais pas comment expliquer. Cette façon de se mettre au centre des choses et de les voir par rapport à ce centre de conscience, ça paraît si... C'est une conscience, n'est-ce pas, qui est répandue ; qui est autant ici, là, là, là qu'ici, et qui rapporte tout à une Conscience supérieure, centrale (Mère rapproche ses deux bras, formant un triangle au-dessus de sa tête, la pointe des deux mains jointes vers le Suprême) qui est comme une espèce de Phare – de phare immuable et tout-puissant – qui éclaire toutes choses de la même façon, sans-sans aucune espèce de réaction personnelle.

Et les derniers vestiges – cela paraissait être les derniers, hier, à cause de cette histoire justement que l'on m'avait demandé de lire...

Naturellement, quand je parle, je dis «je» parce que c'est le corps qui parle, mais il n'a pas le sentiment du je, il est...

C'est très difficile à expliquer. Mais enfin, à cause de cette histoire, j'ai dit : «Ah ! mais comment ? Comment est-ce que cela, ça peut être dit quand ce n'est pas moi ? – Il n'y a pas de moi, ce n'est pas moi !»

Et alors, en même temps, il y avait cette Conscience en haut qui disait : «Pas de réactions personnelles – il n'y a plus de moi –, et ça, si ça doit être fait, il faut que ce soit fait.»

Et pendant des heures et des heures, c'était un état si particulier où tout...

C'étaient comme des espèces de vestiges, comme des morceaux d'écorce, je ne sais pas ; des morceaux de quelque chose d'un peu durci ou racorni qui étaient effrités et qui s'en allaient en poudre, et seulement, seulement cette Grande Vibration (geste comme deux grandes ailes qui battent dans l'infini), si puissante et si calme – toute la journée. Et une espèce de perception que la vie dans une forme comme cela qui a l'apparence d'être personnelle, c'est seulement pour l'action – seulement pour l'action, pour les nécessités de l'action ; et il ne doit pas y avoir de réactions, ça doit être l'instrument qui agit – qui agit selon l'Impulsion suprême, sans réactions. Et la perception était si claire que tous-tous les souvenirs sont abolis, et de plus en plus abolis, afin que ce ne soit plus qu'une espèce... de masse de vibrations organisées de façon à faire ce qu'il faut faire dans l'ensemble pour que tout soit préparé et... (geste d'ascension) croisse, tende de plus en plus vers... la transformation.

Ça rend la parole difficile, à cause de cette vieille habitude (peut-être aussi une nécessité pour se faire comprendre) d'employer le je – «je», qu'est-ce que c'est que ce je ? Ça ne correspond plus à rien, excepté juste à l'apparence. Et l'apparence, c'est la seule chose qui contredise.

C'est cela qui est intéressant : cette apparence est évidemment une contradiction de la vérité ; c'est quelque chose qui appartient encore aux vieilles lois, au moins justement dans son apparence.

Et à cause de cela, on est obligé de dire les choses d'une certaine manière, mais ça ne correspond pas – ça ne correspond pas à l'état de conscience, du tout...

Il y a une fluidité et une ampleur, et une sorte de totalité, et surtout le sens (cela, de plus en plus fort) que ça (le corps), ça doit devenir de plus en plus souple – souple –, fluide pour ainsi dire, de façon à exprimer sans résistance et sans déformation la vision – la vision réelle, l'état de conscience réel.

Et c'est cette possibilité de fluidité, de plasticité, qui devient de plus en plus évidente pour la conscience, avec seulement, seulement juste quelque chose extérieurement qui... qui devient de plus en plus comme une illusion.

Et pourtant, c'est pourtant ça que les autres voient, qu'ils comprennent, qu'ils connaissent et qu'ils appellent un «moi». Et vraiment, ça s'efforce, ça s'efforce de s'adapter de plus en plus, mais... le temps semble avoir encore son importance.

(long silence)

C'est un curieux état de transition.

🪷

Agenda du 8 février 1969

Et dès que je ne suis pas occupée à parler ou à écouter des personnes ou à faire un travail, ça continue-continue : on reprend comme des «échantillons» de la vie de ce corps, et à l'aide de cet échantillon, on montre le tout. C'est une éducation merveilleuse ! Jamais-jamais aucune éducation humaine telle qu'elle est conçue, n'est semblable à cela, parce que c'est une vision d'ensemble, où tout est ensemble, on vous montre tout ensemble.

Ça ne peut pas se dire. Du moins, moi, je ne peux pas – je ne peux pas, ce corps est incapable de formuler cela d'une façon méthodique et claire. Mais pour apprendre, il apprend!

Et en même temps, ça donne la notion vraie...

Il y avait aussi, mélangé, ce matin (comme pour donner des points de repère), certaines questions de religion justement : de religions, de gens religieux de différentes religions, d'attitude des religions ; et tout cela avec la vision du tout et une absence totale de toutes les réactions personnelles (en les voyant, la conscience qui voyait n'avait pas de réactions personnelles ; par exemple, la réaction d'une religion pour une autre, d'une croyance pour une autre, d'une soi-disant connaissance vis-à-vis d'une autre et de tout cela, toutes ces réactions, tous ces conflits qui sont dans le mental humain), c'était vu comme cela (geste dominant, comme au-dessus d'une mer étale), c'était vu tout ensemble, et tout sur le même plan ; sur un même plan qui est comme une zone mentale et qui n'a absolument rien à voir avec la Vérité – c'est un camouflage de la Vérité incroyable ; les soi-disant «vérités» pour lesquelles les hommes se sont battus, sont morts, ont détruit avec toutes les passions humaines : un camouflage presque ridicule de la Vérité.

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Agenda du 4 avril 1972

Non ! Non-non-non. Je ne suis pas pour augmenter volontairement les difficultés ! Je sais qu’elles viennent pour... Mais il ne faut pas les tirer – au contraire. Il ne faut pas. Il faut rendre les choses aussi faciles que l’on peut. Seulement il ne faut pas être affecté par la difficulté, voilà. Je ne dis pas du tout d’accepter les difficultés – ne les attirez pas du tout, du tout, du tout. ; la vie est assez difficile telle qu’elle est ! Mais quand la difficulté vient, il faut avoir bon cœur et bon courage.

Il faut vouloir l’Ordre, l’Harmonie, la Beauté et... l’aspiration collective – toutes choses qui, pour le moment, ne sont pas encore là.

Ce qu’il faut, c’est... n’est-ce pas, notre devoir à nous qui organisons, c’est de donner l’exemple de ce que nous voulons que les autres fassent. Il faut être au-dessus des réactions personnelles, uniquement branchés sur la Volonté divine et l’instrument docile de la Volonté divine – impersonnels, sans réactions personnelles.

Être en toute sincérité. Ce que le Divin veut, que cela soit. Voilà. Si nous sommes comme cela, nous sommes comme nous devons être, et c’est ça qu’il faut que nous soyons. Et puis tout le reste-tout le reste, on fait de son mieux.

Agenda du 12 novembre 1960

Qu’est-ce qui peut les faire céder ? (les forces adverses)

L’Amour divin. C’est la seule chose.

C’est ce que Sri Aurobindo a expliqué dans Savitri. C’est seulement quand l’Amour divin se manifestera dans toute sa pureté, alors tout cédera, tout cédera – ce sera fait.

C’est la seule chose qui puisse faire cela. Ce sera la grande Victoire.

(silence)

Et on sent cela (en tout petit, n’est-ce pas, dans de tout petits détails) que, de toutes les forces, c’est la plus forte. C’est la seule qui ait du pouvoir sur les volontés adverses. Seulement... pour changer le monde, il faut que ça se manifeste ici dans sa plénitude. Il faut qu’on en soit capable...

Sri Aurobindo avait écrit aussi : «Si l’Amour divin se manifestait dans toute sa plénitude, dans sa totalité maintenant, il n’y aurait pas d’organisme matériel qui n’éclaterait.»

Alors il faut apprendre à élargir-élargir-élargir non seulement la conscience intérieure (ça, c’est relativement facile – enfin c’est faisable) mais même cet agglomérat de cellules. Et j’en ai eu l’expérience : il faut être capable d’élargir, élargir cette sorte de cristallisation, si on veut être capable de tenir cette Force-là.

Je sais. Deux-trois fois j’ai eu l’impression là-haut (dans la chambre), que le corps allait éclater. N’est-ce pas, j’étais sur le point de dire : «Eclatons et finissons.» Mais toujours Sri Aurobindo est intervenu ; les trois fois il est intervenu d’une façon tout à fait tangible, vivante, concrète et... il a arrangé tout pour que je sois obligée d’attendre.

Et alors il se passe des semaines, quelquefois des mois entre une chose et une autre, pour que l’élasticité vienne dans ces cellules imbéciles.

On perd du temps, beaucoup de temps. On est... oh ! on est dur ! (Mère frappe son corps) dur comme de la pierre.

Mais trois fois, j’ai vraiment eu l’impression que j’étais sur le point de... que ça se disloque. La première fois, il était venu une fièvre, une telle fièvre... comme si j’avais, je ne sais pas, au moins 46 ou 47 de fièvre – c’était bouillonnant de la tête jusqu’en bas : tout était devenu d’un rouge doré, comme ça, et puis... c’était fini.

C’est ce jour-là que, tout d’un coup – tout d’un coup – j’ai été... N’est-ce pas, je me suis dit : «Bon, eh bien, il faut être paisible, on verra bien ce qui arrivera», alors j’ai amené la Paix et, immédiatement, j’ai pu passer dans une seconde d’inconscience – et je me suis réveillée dans le physique subtil, dans la maison de Sri Aurobindo. Il était là. Et alors j’ai passé un bon moment avec lui, à expliquer.

Mais ça, c’est une expérience (il y a beaucoup de mois, plus d’un an), une expérience décisive.

Alors j’ai expliqué à Sri Aurobindo, et il m’a répondu (pas avec des mots : avec son expression, mais c’était très clair) : «Patience, patience – patience, ça viendra.»

Et quelques jours après cette expérience, je suis tombée «comme par hasard» sur quelque chose qu’il avait écrit et où il expliquait justement que nous sommes beaucoup trop rigides, agglomérés, crispés, pour que ces choses-là puissent se manifester – il faut s’élargir, se détendre, devenir plastique.

Mais ça demande du temps.

On ne voit pas vraiment ce qu’on peut faire... Enfin, c’est toi qui «fais», bien sur, mais on ne voit pas vraiment ce qu’on peut faire pour changer les choses.

Moi non plus !

J’ai tout à fait l’impression que je ne «fais» rien du tout, moi, rien du tout. La seule chose que je fais, c’est ça (geste d’offrande vers le haut), tout le temps ça – n’est-ce pas, ça, de partout : dans les pensées, dans les sentiments, dans les sensations, dans les cellules du corps, tout le temps : «A Toi, à Toi, à Toi. C’est Toi, c’est Toi, c’est Toi...» C’est tout. Et puis rien d’autre. 

C’est-à-dire le consentement de plus en plus total, de plus en plus intégral et de plus en plus comme ça (Mère fait le geste de se laisser porter). C’est là qu’on a l’impression qu’il faut être tout a fait comme un enfant.

Si on commence à penser : «Oh ! je voudrais être comme cela, oh! il faudrait être comme cela», on perd son temps.

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