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Publié par pascalemmanuel

(Dans cette époque où le combat entre "monde unipolaire" et "monde multipolaire" semble un combat à mort, ces 10 pages du chapitre 4 du Cycle Humain de Sri Aurobindo nous apporteront sans doute  quelques lumières pour nourrir nos réflexion et méditations...)

 

La loi première, le dessein fondamental de la vie individuelle est la recherche de son propre développement. D’une façon consciente ou semi-consciente, ou inconsciemment et à tâtons, elle s’efforce toujours, et à bon droit, d’arriver à sa propre formule : de se trouver elle-même, de découvrir en elle-même la loi et le pouvoir de son être et de les accomplir. Et pour elle, ce but est fondamental, juste, inévitable, car on peut faire toutes les réserves et toutes les objections que l’on veut, il reste que l’individu n’est pas seulement une créature physique éphémère, une forme mentale et corporelle qui s’agrège et se dissout, mais un être, un vivant pouvoir de la Vérité éternelle, un esprit qui se manifeste.

 

De même, la loi première, le dessein fondamental de toute société, communauté ou nation, est de chercher son propre accomplissement ; chacune s’efforce, et à bon droit, de se trouver elle-même, de percevoir en elle-même la loi et le pouvoir de son être et de les accomplir aussi parfaitement que possible, de réaliser toutes ses potentialités, de vivre la vie qui la révélera à elle-même.

 

Et la raison en est la même ; car les sociétés aussi sont des êtres, de vivants pouvoirs de la Vérité éternelle, des manifestations de l’Esprit cosmique, et elles sont là pour exprimer et accomplir, chacune à sa manière et selon ses propres capacités, la vérité spéciale, le pouvoir et le dessein particuliers de l’Esprit cosmique qui est en elles.

 

La nation ou la société, comme l’individu, possède un corps, une vie organique, un tempérament moral et esthétique, un mental qui se développe, et, derrière tous ces signes et ces pouvoirs, une âme pour laquelle ils existent.

 

Et même, on peut dire que, comme l’individu, elle est essentiellement une âme plutôt qu’elle n’en a une ; c’est une âme collective, une âme de groupe, qui, dès qu’elle parvient à une nette différenciation, doit nécessairement devenir de plus en plus consciente d’elle-même ; et elle se découvrira de plus en plus pleinement à mesure qu’elle développera son action et sa mentalité communes et la vie organique qui l’exprime. 

 

*

 

Le parallèle est exact en tout point, car c’est plus qu’un pa­rallèle : c’est une réelle identité de nature.

 

La seule différence est que l’âme de groupe est beaucoup plus complexe parce que son être physique, au lieu d’une simple association de cellules vitales subconscientes, est constitué d’un grand nombre d’êtres pensants en partie conscients d’eux-mêmes.

 

Pour cette raison même, l’âme de groupe semble tout d’abord plus fruste, les formes qu’elle revêt plus primitives et plus artificielles, car sa tâche est plus difficile, elle a besoin de plus de temps pour se découvrir, elle est plus fluide et s’organise moins aisément.

 

Quand elle arrive à sortir de ce stade de formation vaguement consciente, la première conscience définie qu’elle prend d’elle-même est beaucoup plus objective que subjective. Et dans la mesure où elle est subjective, elle est volontiers superficielle ou flottante et vague.

 

Cet objectivisme apparaît très fortement dans l’idéal sentimental de la nation, habituellement centré sur l’aspect géographique le plus extérieur et le plus matériel, l’adoration de la terre où nous vivons, la terre de nos pères, la terre natale : country, patria, vaterland, janmabhûmi.

 

Quand nous comprenons que cette terre n’est que l’enveloppe du corps national (encore que ce soit une enveloppe très vivante, en vérité, et qui exerce une influence puissante sur la nation) et que nous commençons à sentir que son corps plus réel est fait des hommes et des femmes qui composent l’unité nationale — un corps toujours chan­geant et pourtant toujours le même, comme l’individu —, nous sommes en voie d’accéder à une conscience de groupe vraiment subjective.

 

Nous avons alors quelque chance de comprendre que même l’être physique de la société est une puissance subjective, et pas seulement une existence objective.

 

Bien plus encore, son être intérieur est une grande âme communautaire, avec toutes les possibilités et tous les dangers de la vie de l’âme.

 

*

 

La conception objective de la société a dominé l’Occident pendant toute la période historique de l’humanité ; en Orient, elle était assez forte sans être absolument prépondérante.

 

Pour tous pareillement, gouvernants, peuples et penseurs, l’existence nationale se ramenait à un statut politique, à l’étendue de leur territoire, à leur bien-être et leur expansion économiques, leurs lois, leurs institutions et au fonctionnement de toutes ces choses.

 

C’est pourquoi les mobiles politiques et économiques l’ont par­tout emporté, en surface tout au moins ; l’histoire elle-même était un registre de leur action et de leur influence. La seule force subjective et psychologique consciemment admise et difficile à contester, était celle de l’individu.

 

Cette prépondérance des mobiles politiques et économiques est si grande que la plupart des historiens modernes et quelques penseurs politiques en ont conclu que les nécessités objectives, de par la loi de la Nature, étaient les seules forces réellement déterminantes et que tout le reste était seulement une résultante de ces forces ou un accident superficiel. Ils ont conçu l’histoire scientifique comme un compte rendu et une évaluation des mobiles de l’action politique déterminés par le milieu, du jeu des forces et des développements économiques et de l’évolution des institutions. Les rares esprits qui accordaient encore quelque valeur à l’élément psychologique, gardaient les yeux fixés sur les individus et n’étaient pas loin de ramener l’histoire à une somme de biographies.

 

La science de l’avenir, plus vraie et plus compréhensive, s’apercevra que ces conditions ne s’appliquent qu’à la période imparfaitement consciente du développement national.

 

Même alors, une force subjective plus grande n’a cessé d’être à l’œuvre derrière les individus, les politiques, les mouvements économiques et les changements d’institutions ; mais elle œuvrait subconsciemment surtout, davantage comme une entité subliminale que comme une pensée consciente.

 

C’est seulement quand le pouvoir d’âme du groupe sort du subconscient et vient à la surface, que les nations commencent à prendre possession de leur moi subjectif ; elles sont alors en route vers leur âme, si vaguement ou impar­faitement que ce soit.

 

*

 

Certes, on sent toujours plus ou moins le jeu de cette exis­tence subjective, même à la surface de la mentalité du groupe. Mais pour peu que ce vague sentiment se définisse, il s’attache surtout aux détails et aux accessoires : idiosyncrasies nationales, habitudes, préjugés, tournures mentales prononcées. C’est, pour ainsi dire, un sens objectif de la subjectivité.

 

L’homme a pris l’habitude de se considérer comme un corps et une vie, comme un animal physique doué d’un certain tempérament moral, ou immoral, et de considérer les choses de l’esprit comme la fine fleur et le sommet de la vie physique plutôt que comme un élément essentiel ou le signe de quelque chose d’essentiel ; et c’est de la même façon, et plus exclusivement encore, que la communauté considère cette petite partie du moi subjectif dont elle prend conscience.

 

En vérité, elle s’accroche toujours à ses particula­rités, ses habitudes, ses préjugés, mais d’une façon objective et aveugle, en insistant sur leur aspect le plus extérieur et sans chercher le moins du monde derrière eux ce qu’ils représentent et essayent aveuglément d’exprimer.

 

*

 

Telle a été la règle, non seulement pour la nation mais pour toutes les communautés.

 

Une Église, par exemple, est une com­munauté religieuse organisée, et s’il est une chose au monde qui devrait être subjective, c’est bien la religion ; car sa vraie raison d’être, partout où elle n’est pas simplement une croyance morale étayée de quelque autorité surnaturelle, est de découvrir et de réaliser l’âme.

 

Pourtant, sauf à l’époque des fondateurs et de leurs successeurs immédiats, l’histoire religieuse a attaché une importance presque exclusive aux choses objectives : aux rites, aux cérémonies, à l’autorité, aux gouvernements d’église, aux dogmes, aux formes de croyance.

 

Toute l’histoire religieuse extérieure de l’Europe en témoigne, étrange et sacrilège tragi-comédie où s’étalent des discordes et des querelles sanguinaires, des guerres de « religion », des persécutions, des Églises d’État et autres, qui sont la négation même de la vie spirituelle.

 

Il a fallu attendre jusqu’à nos jours pour que les hommes commencent à examiner sérieusement ce qu’est le christianisme, le catholicisme ou l’islam et ce qu’ils signifient réellement en leur âme, c’est-à-dire dans leur réalité et leur essence mêmes.

 

*

 

Mais aujourd’hui, fait remarquable, nous voyons monter très rapidement à la surface cette nouvelle tendance psychologique de la conscience collective.

 

Pour la première fois, nous entendons parler de l’âme des nations, et, ce qui est plus significatif encore, nous voyons effectivement les nations se mettre en quête de leur âme, s’efforcer sérieusement d’agir suivant cette perception nouvelle et de la rendre consciemment opérante dans leur vie et dans leurs activités communes.

 

Il est tout naturel que cette tendance ait été généralement plus puissante chez les nouvelles nations ou chez celles qui luttaient pour se réaliser en dépit d’une sujétion politique ou d’une défaite.

 

En effet, celles-ci ont davantage besoin de se sentir différentes des autres afin de pouvoir affirmer et justifier leur individualité face aux vagues puissantes de la super-Vie qui cherche à les absorber ou les annihiler.

 

Et, précisément parce que leur vie objective est faible et qu’il leur est difficile de l’affirmer par leurs propres forces en des circonstances adverses, il y a plus de chance qu’elles cherchent leur individualité et la force de l’affirmer dans ce qui est subjectif et psychologique ou, du moins, dans ce qui possède une signification subjective ou psychologique.

 

*

 

Par conséquent, chez les nations victimes de circonstances adverses, la tendance à la découverte de soi est particulièrement puissante ; elle a même créé chez certaines, comme en Irlande et en Inde, un nouveau type de mouvement national. Le swadéshisme (1) au Bengale et le Sinn-Fein en Irlande, dans leurs phases premières moins exclusivement politiques, n’ont pas d’autre sens.

 

L’émergence du Bengale comme une sorte de sous-nation en Inde, est essentiellement le produit d’un mouvement fortement, et par la suite très consciemment subjectif.

 

En 1905 au Bengale, ce mouvement invoquait une conception tout à fait nouvelle, à savoir que la nation est non seulement un pays, mais une âme, un être psychologique et presque spirituel.

 

Même quand il poursuivait des fins économiques et politiques, le swadéshisme cherchait à y insuffler cette conception subjective et à en faire un moyen d’expression nationale plutôt qu’un but en soi.

 

Il ne faut pas oublier, toutefois, que dans leur phase initiale et leur pensée superficielle, ces mouvements suivaient les vieux principes d’une conscience objective et surtout politique.

 

L’Orient, certes, est toujours plus subjectif que l’Occident ; nous pouvons observer cette nuance subjective jusque dans les mouvements politiques, que ce soit en Perse, en Inde ou en Chine, et même dans le mou­vement très imitatif qu’est le renouveau japonais.

 

Mais il a fallu attendre jusqu’à nos jours pour que ce subjectivisme devienne conscient de lui-même.

 

Nous pouvons donc en conclure que le subjectivisme conscient et délibéré de certaines nations est le signe précurseur d’un changement général dans l’humanité, et que si le développement du subjectivisme s’est trouvé favorisé par certaines circonstances locales, il ne dépend pas vraiment de ces circonstances et n’en est d’aucune façon le produit.

 

(1). Swadéshî (de swadesh, « notre propre pays ») : mouvement national qui prit nais­sance en 1905, et qui réclamait l’indépendance de l’Inde. (Note de l’éditeur)

 

*

 

Ce changement général est incontestable ; c’est, à l’heure ac­tuelle, l’un des principaux phénomènes dans la vie des nations et des communautés.

 

La conception que l’Irlande et l’Inde furent les premières à formuler catégoriquement : « être soi-même » — conception si différente de l’impulsion et de l’ambition des nations asservies ou infortunées d’autrefois qui s’efforçaient plu­tôt de devenir semblables aux autres —, est maintenant un prin­cipe de vie nationale de plus en plus généralement admis.

 

Cette idée peut conduire à de grands dangers et à de graves erreurs, mais elle est la condition essentielle pour que s’accomplisse ce que l’Esprit-du-Temps exige maintenant de l’espèce humaine : qu’elle trouve subjectivement, non seulement dans l’individu mais dans la nation et dans l’unité du genre humain lui-même, son être profond, sa loi intérieure, son vrai moi, et qu’elle vive en accord avec cela et non plus selon des règles artificielles.

 

Cette tendance mûrissait partout et affleurait déjà partiellement avant la guerre, mais plus particulièrement, nous l’avons dit, chez les nations nouvelles comme l’Allemagne, ou les nations asservies comme l’Irlande et comme l’Inde. Dès le tout début, le choc de la guerre a provoqué partout la soudaine émergence — militante alors — de cette même conscience de soi plus profonde.

 

Ses premières manifestations étaient pour la plupart assez grossières, souvent même d’une crudité vraiment barbare et réactionnaire. Elles avaient surtout tendance à répéter l’aberration teutonne, se préparant non seulement à « être soi-même », ce qui est tout à fait juste, mais à vivre exclusivement par et pour soi-même, ce qui, au-delà d’un certain point, devient une erreur désastreuse.

 

Car, pour que l’âge subjectif de l’humanité puisse porter tous ses fruits, il est nécessaire que les nations deviennent conscientes, non seulement de leur âme propre, mais de l’âme des autres, et qu’elles apprennent à se respecter, à s’aider et à profiter l’une de l’autre, pas uniquement sur un plan économique et intellectuel, mais subjectivement aussi et spirituellement.

 

*

 

La grande force déterminante a été l’exemple de l’Allemagne et son agression : son exemple, parce qu’aucune autre nation n’a cherché si consciemment, si méthodiquement, si intelligemment, et, sur un plan extérieur, avec tant de succès, à se trouver elle-même, à se rendre dynamique, à vivre sa vie et à tirer autant de profit de sa propre puissance d’être ; son agression, parce que l’attaque allemande, de par sa nature même et son mot d’ordre avoué, a contribué à éveiller chez ses victimes une conscience défensive et les a obligées à percevoir la source de cette formi­dable énergie, et à percevoir aussi qu’elles devaient elles-mêmes chercher consciemment à ces mêmes sources profondes une force correspondante.

 

L’Allemagne de cette époque fut l’exemple le plus remarquable d’une nation qui se préparait à une étape subjective, parce que, tout d’abord, elle avait une certaine vision (malheureusement plus intellectuelle qu’illuminée) et le courage de la suivre (malheureusement encore une hardiesse plus vitale et intellectuelle que spirituelle) ; ensuite, parce qu’étant maîtresse de ses destinées, elle pouvait organiser sa vie conformément à la vision qu’elle avait d’elle-même.

 

Il ne faut pas se laisser tromper par les apparences et croire que la puissance de l’Allemagne ait été créée par Bismarck ou dirigée par le kaiser Guillaume II. À bien des égards, l’apparition de Bismarck fut plutôt funeste pour la nation qui commençait à croître, car sa main rude et puissante précipita trop tôt la subjectivité allemande dans les formes et dans l’action ; une période d’incubation plus longue eût amené des résultats moins désastreux pour la nation, mais peut-être aussi moins violemment stimulants pour l’humanité.

 

*

 

La véritable source de cette grande force subjective, telle­ment défigurée dans son action objective, n’était pas dans les hommes d’État ni les soldats de l’Allemagne — pour la plupart de piètres types d’hommes ; elle venait de ses grands philo­sophes, Kant, Hegel, Fichte, Nietzsche ; de son grand penseur et poète, Goethe ; de ses grands musiciens, Beethoven et Wagner ; et de tout ce qu’ils représentaient de l’âme et du tempérament allemands.

 

Une nation dont les œuvres maîtresses se situent presque exclusivement dans les sphères de la philosophie et de la musique, est clairement prédestinée à prendre la tête du mouvement subjectiviste et à avoir des effets profonds, en bien comme en mal, sur les débuts d’un âge subjectif.

 

*

 

C’était l’un des aspects de la prédestination allemande ; l’autre tient à ses érudits, ses éducateurs, ses savants, ses organisateurs. C’est son application, son assiduité consciencieuse, sa fidélité aux idées, son esprit de travail honnête et laborieux, qui longtemps ont fait la renommée de cette nation.

 

Un peuple peut être doué de grandes capacités subjectives et, pourtant, s’il néglige de cultiver ce côté inférieur de notre nature complexe, n’arriver à aucune réalisation, parce qu’il n’aura pas su jeter un pont entre l’idée ou l’imagination et le monde des faits, entre la vision et la force ; ses facultés supérieures peuvent devenir une joie et une inspiration pour le monde, mais ce peuple ne prendra jamais possession de son propre monde tant qu’il n’aura pas appris sa leçon d’humilité.

 

En Allemagne, le pont existait, bien qu’il passât surtout à travers un sombre tunnel et fût suspendu sur un gouffre, car la transmis­sion n’était pas pure entre le mental subjectif des penseurs ou des musiciens et le mental objectif des érudits et des organisateurs.

 

La fausse application que Treitschke a donnée de l’enseignement de Nietzsche à l’usage national et international — application qui aurait profondément dégoûté le philosophe lui-même — est un exemple de cette transmission obscure (1).

 

Mais il y avait tout de même une transmission.

 

Pendant plus d’un demi-siècle, l’Alle­magne s’est livrée à une profonde introspection subjective d’elle-même, des choses et des idées, cherchant la vérité de son être et du monde ; et pendant un autre demi-siècle, elle a concentré l’œil patient de la recherche scientifique sur les moyens objectifs d’organiser ce qu’elle avait acquis, ou qu’elle croyait avoir acquis.

 

Et quelque chose s’est accompli, quelque chose de puissant et d’énorme, en vérité, mais aussi (dans certaines directions, pas en toutes) quelque chose de monstrueux et de déconcertant.

 

Malheureusement, ces directions-là étaient précisément les lignes centrales où se fourvoyer signifie manquer le but.

 

1. Treitschke : historien allemand et écrivain politique (1834-1896), rallié à la Prusse, qui s’est notamment distingué par son chauvinisme et ses attaques contre les juifs. Auteur d’une Histoire de l’Allemagne au XIXe siècle. (Note de l’éditeur)

 

*

 

Certes, on serait tenté de dire que l’ultime aboutissement de la réalisation allemande — la guerre, l’effondrement, la féroce réaction qui a conduit à un État nazi rigide et cuirassé, agressif, formidable — est non seulement décourageant, mais que c’est aussi un clair avertissement qu’il faut abandonner cette voie subjective et revenir aux vieux chemins plus sûrs.

 

Toutefois, le mauvais usage de grands pouvoirs n’est pas un argument contre leur bon usage.

 

Faire marche arrière est impossible ; pareille tentative est toujours illusoire.

 

Nous devons tous faire le même essai que l’Allemagne, mais en prenant soin de ne pas le faire de la même manière.

 

Par conséquent, il faut regarder par-delà le brouillard sanglant de la guerre, par-delà cette confusion et ce chaos obscurs, fuligineux qui oppressent maintenant le monde, pour voir où et comment l’échec s’est produit.

 

Car l’échec de l’Allemagne — qui est devenu évident de par la tournure que prenait son action, et qui s’est changé, pour le moment, en un écroulement total —, apparaissait déjà clairement, même à cette époque, au penseur sans passion qui cherche seulement la vérité.

 

Ce qui est arrivé à l’Allemagne, arrive parfois aussi au chercheur sur le chemin du yoga quand il suit une fausse lumière qui le conduit à sa ruine spirituelle — car le yoga, cet art de la décou­verte consciente de soi, est un chemin semé de périls beaucoup plus graves que ceux qui menacent généralement l’homme ordi­naire.

 

L’Allemagne avait pris son ego vital pour son vrai moi ; elle était partie à la recherche de son âme et n’avait trouvé que sa force.

 

Comme l’Asura (1), elle avait dit : « Je suis mon corps, ma vie, mon mental, mon tempérament » et elle s’était attachée à eux avec une force de Titan ; elle avait surtout dit : « Je suis ma vie et mon corps » et, pour la nation comme pour l’homme, il n’est pas d’erreur plus désastreuse.

 

L’âme de l’homme ou de la nation est quelque chose de plus que sa vie et son corps, elle est plus divine que cela, plus grande que ses instruments, et elle ne peut être enfermée dans une formule physique, vitale, mentale ou caractérielle.

 

Vouloir l’emprisonner ainsi (quand bien même la formation mensongère s’incarnerait-elle dans le corps cuirassé d’un énorme dinosaure humain collectif), ne peut qu’étouffer la croissance de la Réalité intérieure et doit fatalement aboutir à la décomposition ou à l’anéantissement qui frappent tout ce qui n’est ni plastique ni adaptable.

 

1. L’Asura, ou Titan, incarne les forces des ténèbres et de l’égoïsme ignorant ; il lutte contre la vérité divine. (Note de l’éditeur)

 

*

 

Il est donc évident qu’il existe un faux subjectivisme autant qu’un vrai ; les erreurs qui peuvent menacer la tendance sub­jective sont aussi grandes que ses possibilités, et elles peuvent conduire à de terribles catastrophes. Cette distinction doit être clairement saisie si l’espèce humaine veut traverser sans accident cette période de l’évolution sociale.

Nous progressons par nos erreurs... 

L'article précédent sur la pensée politique très innovante d'Etienne Chouard mais l'accent sur l'extérieur...

Or, l'un des enseignements de ce chapitre est de nous demander ce qu'est l'âme de la France...

Du dedans vers le dehors nous a dit Sri Aurobindo. Si "l'être collectif France", devient conscient de lui-même, alors il sera en mesure de trouver l'organisation qui lui convient... 

Maintenant, nos actes extérieurs, mêmes ignorants, disent quelque chose de notre intériorité. Or, si Etienne Chouard insiste tant sur le processus constituant, c'est que la France a une histoire constitutionnelle comme nul autre pays au monde, et ça, cela raconte peut-être quelque chose dont il faudrait tenir compte.

Une constitution est sensée être au sommet de la hiérarchie des normes juridiques et parler des règles concernant l'organisation des pouvoirs régissant la société, c'est peut-être un pouvoir suprême d'harmonie qu'il faut trouver... 

Pour l'instant, vu que tout pouvoir semble devenir abusif, la seule chose que nous ayons trouvé c'est d'imposer des contre-pouvoirs...

Mais le contrôle, ce n'est pas l'harmonie... 

Vu la concordance entre l'être individuel et l'être collectif, si nous trouvons, découvrons la loi véritable de notre être individuel, alors nous aurons quelque chance de trouver aussi ce que pourrait être la loi collective... 

Tous les pays vivent dans le mensonge. Si un seul pays se mettait courageusement du côté de la vérité, le monde pourrait être sauvé.(Agenda de Mère du 7 juin 1967)

Pensées et Aphorismes

28 — On a traité Napoléon de tyran et d’impérial coupeur de gorges ; mais j’ai vu Dieu en armes qui chevauchait l’Europe.

 

Question de Satprem : Tu as écrit : “elles [les guerres] peuvent servir a détruire un passe qui se refuse a disparaître alors que son temps est fini, pour qu’il fasse place aux choses nouvelles.” Maintenant que le Supramental est descendu sur terre, la guerre sera-t-elle nécessaire pour changer l’état présent du monde ?

 

Réponse de Mère : Tout va dépendre de la réceptivité des nations. Si elles s’ouvrent largement et promptement à l’influence des forces nouvelles et que dans leurs conceptions et leurs actions elles changent assez vite, la guerre pourra être évitée. Mais elle est toujours menaçante et toujours en suspens ; chaque erreur commise, chaque obscurcissement de la conscience, augmente cette menace.

 

Pourtant, en dernière analyse, tout dépend réellement de la Grâce divine, et nous devons regarder l’avenir avec confiance et sérénité, tout en progressant aussi rapidement que nous le pouvons. (15 avril 1960)

*

 

76 — L’Europe se vante de son organisation et de son efficacité pratiques et scientifiques. J’attends que son organisation soit parfaite, alors un enfant la détruira.

 

Naturellement, ce ne peut être que le pouvoir qui est détruit, parce que la terre, on ne la détruit pas.

 

Oui, on ne détruit pas la terre, mais une civilisation, on peut la detruire.

 

Oui.

 

Il dit : l’Europe sera détruite.

 

Oui... Mais quel enfant ?

J’ai l’impression que c’est venu comme quelque chose d’absolument vrai, une prédiction absolument vraie — mais je ne sais pas.

 

Mais je ne pense pas que le temps soit encore venu — « venu », je veux dire pour la réalisation ; le temps est venu de le dire mais pas pour la réalisation.

 

L’enfant”... peut-être est ce l’enfant du Nouveau Monde — avec un sourire, il va faire écrouler tout cela.

 

Oui, c’est possible — c’est possible.

 

(silence)

 

Ça contient une puissance effrayante... quelque chose de formidable. Tu n’imagines pas le pouvoir qu’il y a là-dedans, c’est vraiment comme si le Divin lui-même parlait : « J’attends »... I am waiting... (11 décembre 1971)

 

(Deux remarques personnelles :

 

1) Sri Aurobindo parle de l'organisation de l'Europe. Et quand cette organisation sera parfaite, alors un Enfant la détruira. Est-ce que ce la correspond à l'Europe ou à l'organisation ? Et puis, de quelle organisation parte t-il ? Certes, il peut s'agir de l'organisation générale, économique sociale et culturelle, telle qu'elle était à peu près vécue sur le continent Européen. Maintenant, j'ai toujours pensé, qu'avant les traités européens, il n'y avait pas vraiment d'organisation européenne car chaque état avait sa propre organisation. Cette institution oligarchique et ploutocratique de l'UE DOIT être détruite, et elle le sera parce que toutes les prétentions totalitaires de l'histoire ont finit par s'effondrer. 

 

2) La seule question c'est QUAND ? En 1971, Mère nous dit que le moment de la réalisation n'est pas encore venu. C'était il y a 52 ans ! Et si le moment était ENFIN venu ? C'est ce qu'à laissé entendre Dmitri Mevedev...)

 

*

117 — « Il n’est pas vrai qu’il y ait eu un temps ou Je n’étais point, ni toi ni ces rois ; il n’est pas vrai non plus qu’aucun de nous doive jamais cesser d’être. » Non seulement le Brahman est éternel, mais les êtres et les choses dans le Brahman sont éternels ; leur création et leur destruction sont un jeu de cache-cache avec notre conscience extérieure.

 

118 — L’amour de la solitude est le signe d’une disposition à la connaissance ; mais on ne parvient à la connaissance que quand on perçoit la solitude invariablement et partout, dans la foule et dans la bataille, et sur la place du marché.

 

119 — Si tu peux percevoir que tu ne fais rien, alors même que tu accomplis de grandes actions et que tu mets en mouvement des résultats formidables, sache que Dieu a retiré son sceau de tes paupières.

 

120 — Si tu peux percevoir que tu conduis des révolutions, alors même que tu es assis tout seul, immobile et sans paroles au sommet de la montagne, tu as la vision divine et tu es libre des apparences.

 

121 — L’amour de l’inaction est sottise, et sottise le mépris de l’inaction — il n’y a pas d’inaction. La pierre inerte sur le sable, que tu envoies promener d’un coup de pied distrait, a produit son effet sur les hémisphères.

 

C’est l’expérience que j’ai eue ces jours-ci, hier ou avant-hier. Le sentiment d’une Puissance irrésistible qui gouverne tout : le monde, les choses, les gens, tout, tout, sans que l’on ait besoin de bouger matériellement, et que cette suractivité matérielle est seulement comme l’écume qui se forme quand l’eau court très vite — l’écume de la surface —, mais que la Force court dessous comme un flot tout-puissant.

 

Il n’y a rien d’autre à dire. On en revient toujours à cela : savoir, ça va bien ; dire, c’est bon ; faire, c’est bien ; mais être, c’est la seule chose qui ait du pouvoir.

 

N’est ce pas, les gens sont à s’agiter parce que cela ne va « pas vite » ; alors j’avais cette vision de la formation, de la création divine qui se fait, en dessous, toute-puissante, irrésistible, et en dépit de tout, tout ce brouhaha extérieur.

 

Mais ce grand courant de Puissance, pour s’exprimer, il a besoin d’instruments ?

 

Un cerveau.

 

Mais justement, pas seulement d’un cerveau. Cette Puissance peut s’exprimer, comme dans le passe, d’une façon mentale ou surmentale ; elle peut s’exprimer vitalement par la force ; elle peut s’exprimer par des muscles ; mais comment peut-elle s’exprimer physiquement, purement, directement (parce que tu parles souvent du “pouvoir matériel”) ? Quelle différence y a-t-il entre l’Action là-haut et l’Action vraie ici ?

 

Chaque fois que j’ai été consciente du Pouvoir, l’expérience a été similaire. La Volonté d’en haut se traduit par une vibration, qui certainement se revêt de puissance vitale, mais agit dans un physique subtil.

 

On a la perception d’une certaine qualité de vibration, qu’il est difficile de décrire mais qui donne l’impression d’une chose coagulée (pas morcelée), quelque chose qui semble plus dense que l’air, qui est extrêmement homogène, d’une luminosité dorée, avec une puissance de propulsion formidable, et qui exprime une certaine volonté (qui n’a pas la nature de la volonté humaine, qui a plutôt la nature de la vision que celle de la pensée ; c’est comme une vision qui s’impose pour être réalisée) dans un domaine très proche de la Matière matérielle, mais invisible, excepté pour la vision intérieure ; et ça, cette Vibration-là, exerce une pression sur les gens, les choses, les circonstances, pour les mouler selon sa vision.

 

Et c’est irrésistible. Même les gens qui pensent le contraire, qui veulent le contraire, font ce qui est voulu sans le vouloir ; même les choses qui s’opposent par leur nature même sont retournées.

 

Pour les événements nationaux, les rapports entre les nations, les circonstances terrestres, ça agit comme cela, constamment, constamment, comme une Puissance formidable.

 

Et alors, si l’on est soi-même en état d’union avec la Volonté divine, sans intervention de la pensée et de toutes les conceptions ou les idées, on suit, on voit et on sait.

 

Les résistances de l’inertie dans les consciences et dans la Matière font que cette Action, au lieu d’être directe et parfaitement harmonieuse, devient confuse, pleine de contradictions, de chocs et de conflits ; au lieu que tout s’arrange, on pourrait dire « normalement », sans heurts (comme cela devrait être), toute cette inertie qui résiste, qui s’oppose, fait que cela commence à avoir un mouvement entremêlé où les choses s’entrechoquent et où il y a des désordres et des destructions, qui ne sont rendus nécessaires que par la résistance, mais qui n’étaient pas indispensables, qui auraient pu ne pas être — qui n’auraient pas dû être, pour dire la vérité.

 

Parce que cette Volonté, ce Pouvoir, est un Pouvoir de parfaite harmonie, où chaque chose est à sa place, et il organise merveilleusement : ça vient comme une organisation absolument lumineuse et parfaite, que l’on peut voir quand on a la vision, mais quand ça descend et que ça presse sur la Matière, tout commence à bouillonner et à résister.

 

Par conséquent, vouloir imputer à l’Action divine, au Pouvoir divin, les désordres et les confusions et les destructions, c’est encore une sornette humaine.

 

C’est l’inertie (sans parler de la mauvaise volonté), l’inertie qui produit la catastrophe. Ce n’est pas que la catastrophe soit voulue, ce n’est même pas qu’elle soit prévue : elle est produite par la résistance. (6 juillet 1966)

 

(Pour résumer, il y a 3 aspects à retenir de cette description du fonctionnement de ce nouveau pouvoir, le pouvoir supramental.

 

1) Il agit de la même façon et aussi bien sur l'infiniment petit, les gens, que sur l'infiniment grand, les nations, le monde...

 

2) Si l'on est capable de ne pas faire intervenir la pensée, nos idées, nos conceptions... alors nous sommes davantage capables de suivre son action...

 

3) C'est un pouvoir d'harmonie qui n'est pas sensé produire des catastrophes, mais comme il est d'une puissance irrésistible, écrasante, il y a une difficulté à le recevoir, à le laisser agir, une résistance presque naturelle, quand il ne s'agit pas d'une mauvaise volonté manifeste. Si nous savions rester bien tranquilles, être dans l'abandon confiant, cela faciliterait les choses...

 

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164 — Ceux qui sont incapables d’observer librement, pleinement et intelligemment la loi qu’ils se sont imposée à eux-mêmes, doivent être assujettis à la volonté des autres. C’est l’une des causes principales de la sujétion des nations. Une fois que leur égoïsme désordonné a été écrasé sous les pieds d’un maître, il leur est donné une nouvelle chance, ou, si elles ont de la force en elles, elles obtiennent une nouvelle chance de mériter la liberté par la liberté.

 

(voilà une étrange "formule"... à méditer)

 

165 — Observer la loi que nous nous sommes imposée à nous-mêmes plutôt que la loi des autres, telle est la signification de la liberté dans notre condition non régénérée. C’est seulement en Dieu et par la suprématie de l’esprit que nous pouvons jouir d’une liberté parfaite.

 

La liberté véritable est d’être en union constante avec le Divin et de ne faire que ce que le Divin nous fait faire. Mais jusque-là, il vaut mieux s’imposer à soi-même une loi supérieure d’action et de conduite, et la suivre scrupuleusement, plutôt que d’obéir à la loi des autres hommes et des conventions sociales et morales. (1er octobre 1969)

 

(D'abord, il faudrait la trouver, comprendre ce qu'elle est, cette loi supérieure et intérieure, et ce n'est pas une mince affaire. Ensuite, et ce n'est pas une difficulté moindre, c'est d'avoir la volonté, la persévérance de la suivre. Mais si le chemin était facile, cela se saurait ; l'abandon confiant à la Mère divine facilite les choses, mais tout de même, les difficultés ne disparaissent pas encore par "magie".)

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195 — L’acceptation de la pauvreté est noble et bienfaisante pour une classe ou un individu, mais elle devient fatale et appauvrit la richesse de la vie et son épanouissement si elle est perversement organisée et que l’on en fasse un idéal général ou national.

 

196 — La pauvreté n’est pas plus une nécessité pour la vie sociale que ne l’est la maladie pour un corps naturel ; de mauvaises habitudes de vie et l’ignorance de notre organisation vraie sont, dans les deux cas, les causes pécheresses d’un désordre évitable.

 

Douce Mere, un jour viendra-t-il ou il n’y aura plus de pauvres et plus de souffrances dans le monde ?

 

Ceci est absolument certain pour tous ceux qui comprennent l’enseignement de Sri Aurobindo et ont foi en lui. C’est avec l’intention de créer un endroit où il puisse en être ainsi que nous voulons fonder Auroville. Mais pour que cette réalisation soit possible, il faut que chacun fasse effort pour se transformer lui-même, car la majorité des souffrances des êtres humains est le produit de leurs propres erreurs, physiques et morales. (8 novembre 1969)

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197 — Athènes, et non Sparte, représente le type progressiste pour l’humanité. L’Inde ancienne, avec son idéal de vastes richesses et de vastes dépenses, était la plus grande parmi les nations. L’Inde moderne, avec sa tendance à un ascétisme national, est devenue totalement pauvre de vie et elle s’est enfoncée dans la faiblesse et la dégradation.

 

198 — Ne t’imagine pas que quand tu te seras débarrassé de la pauvreté matérielle, les hommes seront toujours heureux ou satisfaits ni que la société sera débarrassée de ses maux, ses difficultés et ses problèmes. C’est seulement une première nécessité et la plus basse. Tant que l’âme au-dedans reste imparfaitement organisée, il y aura toujours, au-dehors, de l’agitation, du désordre et des révolutions.

 

Ceci est tout à fait évident ; et c’est ce que nous essayons de faire comprendre aux gens. Une vie assurée et tranquille ne suffit pas à rendre les gens heureux. Il faut le développement intérieur, et la paix qui vient du contact conscient avec le Divin. (13 novembre 1969)

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308 — Les hommes ne font effort que pour réussir, et s’ils ont le bonheur d’échouer, c’est parce que la sagesse et la force de la Nature l’emportent sur l’habileté de leur intellect. Dieu seul sait quand et comment faire sagement une maladresse et échouer efficacement.

 

309 — Méfie-toi de l’homme qui n’a jamais échoué ni souffert ; ne t’attache point à son sort, ne combats pas sous sa bannière.

 

310 — L’homme qui n’a jamais été l’esclave d’un autre, et la nation qui n’a jamais été sous le joug des étrangers sont l’un et l’autre incapables de grandeur et de liberté.

 

(Si l'on regarde le degré d'asservissement dans lequel la France est tombé, cet aphorisme est presque rassurant...)

 

Il y a des qualités essentielles qui ne se développent que dans la souffrance et les difficultés. Les hommes les fuient par ignorance, mais le Seigneur Suprême les impose à ceux qu’Il a choisis pour Le représenter sur la terre afin de hâter leur développement — car il est la Sagesse Suprême. (28 janvier 1970)

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325 — « Liberté, Égalité, Fraternité », s’écriait la Révolution française, mais en vérité seule la liberté a été mise en pratique, avec une certaine dose d’égalité ; quant à la fraternité, c’est seulement une fraternité de Caïn qui s’est fondée — et de Barabbas. Quelquefois, elle s’appelle « trust » ou « cartel », et parfois « Concert des Nations d’Europe ».

 

326 — Les penseurs avancés d’Europe s’écrient : « Puisque la Liberté a échoué, essayons la Liberté plus l’Égalité, ou, puisqu’il n’est pas facile d’apparier les deux, essayons l’égalité à la place de la liberté. Quant à la fraternité, elle est impossible, par conséquent nous la remplacerons par l’association industrielle. » Mais je pense que, cette fois-ci non plus, Dieu ne sera pas trompé.

 

Pour le moment encore, liberté, égalité, fraternité, ne sont que des mots qui ont été proclamés à grands cris mais qui n’ont jamais encore été mis en pratique et ne peuvent pas l’être tant que les hommes resteront tels qu’ils sont, gouvernés par leur ego et tous ses désirs au lieu d’être gouvernés seulement par l’Un Suprême et suprêmement Divin. (8 février 1970)

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332 — Le monde de Dieu avance pas à pas et il réalise l’unité moindre avant de tenter sérieusement l’unité plus grande. Affirme d’abord la liberté nationale si jamais tu veux amener le monde à être une seule nation.

 

(Voilà l'erreur des mondialistes, prétendre à un ordre mondial en prétendant supprimer les nations...)

 

333 — Une nation ne se fait pas par le sang commun, une langue commune ni par une religion commune ; ce sont là seulement des auxiliaires importants et des commodités puissantes. Mais partout où des communautés d’hommes non attachés par des liens de famille se sont unies dans un même sentiment et une même aspiration afin de défendre l’héritage commun de leurs ancêtres ou pour assurer un avenir commun à leur postérité, une nation est déjà née.

 

(Cette Idée-là, apparemment modeste, sans clivage gauche-droite, sans même de notion spirituelle, pourrait peut-être tous nous rassembler... sur le plus petit dénominateur commun. Parfois, on va chercher bien loin des trucs compliqués : ici, il est question de reconnaître et d'assumer notre passé, notre héritage, notre culture, notre histoire... et de regarder vers l'avenir, d'assurer un avenir commun. Compte-tenu de ce qu'est la France, il me semble que revenir à la notion de services publics fort (non-privatisables par nature) et à la notion de bien communs serait l'une des meilleures pistes pour assurer la cohésion sociale).

 

334 — La nation est un grand pas dans la marche de Dieu afin de dépasser le stade de la famille ; par conséquent, l’attachement au clan et à la tribu doit s’effacer et disparaître avant que puisse naître une nation.

 

Ainsi Sri Aurobindo nous révèle le grand secret politique dont la réalisation peut nous mener à l’union de toutes les nations et finalement à l’unité humaine. (11 février 1970)

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335 — La famille, la nation, l’humanité sont les trois enjambées de Vishnu pour passer de l’unité isolée à l’unité collective. La première est faite ; nous nous efforçons encore à la perfection de la seconde ; nous tendons les mains vers la troisième, mais le travail de pionnier a déjà commencé.

 

336 — Étant donné la moralité actuelle de l’espèce humaine, une unité humaine solide et durable n’est pas encore possible ; mais il n’y a aucune raison pour qu’une approximation temporaire ne vienne récompenser une aspiration opiniâtre et un effort infatigable.

 

La Nature progresse par des approximations constantes, des réalisations partielles et des succès temporaires. Comme Sri Aurobindo l’a prédit, les choses vont vite, et la situation de l’humanité a beaucoup changé depuis que Sri Aurobindo travaille dans le physique subtil : l’idée de l’unité humaine a fait beaucoup de progrès dans la compréhension générale. (12 février 1970)

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339 — Embrouillée est la voie des œuvres dans le monde. Quand Râma, l’Avatâr, a tué Vâli (1), ou quand Krishna, qui était Dieu Lui-même, a assassiné le tyran Kansa, son oncle, afin de libérer sa nation, qui dira s’ils ont fait le bien ou le mal ? Mais nous pouvons sentir ceci : qu’ils ont agi divinement.

 

C’est une manière suprêmement élégante de dire que les notions de bien et de mal sont exclusivement humaines et n’ont pas de valeur au regard de Dieu. (16 février 1970)

 

(1) . Le roi des singes dans le Râmâyana.

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341 — La démocratie était la protestation de l’âme humaine contre le despotisme combiné de l’autocrate, du prêtre et du noble ; le socialisme est la protestation de l’âme humaine contre le despotisme d’une démocratie ploutocratique ; l’anarchie sera probablement la protestation de l’âme humaine contre la tyrannie d’un socialisme bureaucratique. Une marche turbulente et assoiffée qui va d’illusion en illusion et d’échec en échec, telle est l’image du progrès de l’Europe.

 

342 — En Europe, la démocratie est le gouvernement du ministre d’État, du député corrompu ou du capitaliste égoïste, masqué par la souveraineté occasionnelle d’une populace irrésolue. Il est probable que le socialisme en Europe sera le gouvernement du fonctionnaire et de la police, masqué par la souveraineté théorique d’un État abstrait. Il est chimérique de demander quel est le meilleur des deux systèmes ; il serait difficile de décider lequel est le pire.

 

343 — L’avantage de la démocratie est la sécurité de la vie de l’individu, de sa liberté et de ses biens contre les caprices d’un tyran ou d’une minorité égoïste ; son mal est le déclin de la grandeur dans l’humanité.

 

Tous les gouvernements humains sont mensongers ou chimériques. On ne peut espérer que la terre soit un jour gouvernée par la Vérité que si le Seigneur Suprême rend cette Vérité évidente pour tous. (18 fevrier 1970)

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M
Salut<br /> <br /> juste un petit bonjour<br /> <br /> et rajouter que pour les chinois la France c est FAGUO le pays des lois<br /> <br /> A+
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P
Bonjour Marek, effectivement, je n'y pensais plus...