La Descente dans la Nuit
Introduction
Nouvelle lune, solstice d'hiver, éclipse solaire, événements sociaux et politiques, hier, tout m'invitait à.... accepter ce passage dans la nuit...
Alors, pour mettre en adéquation avec mon ressenti, avec le moment j'ai ressorti le Livre Deux de Savitri sur Le Voyageur des Mondes, Sri Aurobindo et en particulier sur le chapitre 7, La Descente dans la Nuit.
Plusieurs passages me sont apparus d'actualité, pourtant, une question demeure, lancinante...
Dans quelle mesure, cette description, par moment effrayante, potentiellement terrifiante, est encore d'actualité ? En effet, Sri Aurobindo décrit sa Descente dans les Enfers mais il y a aussi, Son Action. Il n'est pas descendu dans les Ténèbres pour faire une visite de courtoisie, et puis, Mère a continué le Travail, Satprem aussi.
Alors, que restent-ils de ces Enfers ? Mon sentiment est qu'au minimum, les Ténèbres sont moins.... ténébreuses. Pour nous peut-être, nous ne voyons aucune différence, surtout maintenant, mais avec le regard vaste du Temps, certainement que nous sentirions la différence.
Je serais curieux de savoir ce qu'écrirait Sri Aurobindo, maintenant, de cette échèle des mondes. Pour voir, ce qui a changé.
Ce qui reste, c'est que cette vision des Enfers renforce notre aspiration vers la Lumière et la Vérité et la Divinité.
Ce qui reste, c'est l'Aide incomparable que cela reste pour nous aider à nous connaître et à grandir car assurément, tous ces mondes explorés par Sri Aurobindo, sont en résonance avec le nôtre et ce que nous vivons.
Ce qui reste aussi, c'est la Grâce de savoir, un peu, ce que Sri Aurobindo a fait pour nous...
Présentation générale
Les passages en vert sont des notes de Satprem.
SAVITRI
LIVRE II
Le Livre du Voyageur des Mondes
Chant Un : L’Échelle des Mondes
(Le Roi Ashwapati, père de Savitri, le pionnier de l’espèce, entreprend son exploration des plans de conscience et de leurs pouvoirs qui règnent sur notre conscience actuelle, clandestinement ou pour l’avenir.)
Chant Deux : Le Royaume de la Matière Subtile
Chant Trois : La Gloire et la Chute de la Vie
(À cette « gloire » de la vie, il manquait quelque chose. Après en avoir fait tout le tour, Sri Aurobindo nous montre pourquoi elle était insuffisante et devait « choir » là où sont nos pas.)
Chant Quatre : Les Royaumes de la Petite Vie
Chant Cinq : Les Divinités de la Petite Vie
Chant Six : Les Royaumes et les Divinités de la Vie plus Large
Chant Sept : La Descente dans la Nuit
Chant Huit : Le Monde du Mensonge, La Mère du Mal et Les Fils des Ténèbres
Chant Neuf : Le Paradis des Dieux de la Vie
Chant Dix : Les Royaumes et les Divinités du Petit Mental
Chant Onze : Les Royaumes et les Divinités du Mental plus Large
Chant Douze : Les Cieux de l’Idéal
Chant Treize : Dans le Moi du Mental
Chant Quatorze : L’Âme du Monde
Chant Quinze : Les Royaumes de la Connaissance d’En Haut
Sri Aurobindo. Savitri. Translated from English into French by Satprem
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Descente dans la Nuit
Extraits
Un mental délié de la vie, devenu calme pour connaître,
Un cœur divorcé de l’aveuglement et du tourment,
Du sceau des larmes, des chaînes de l’ignorance,
Il se mit à chercher la cause de cette vaste faillite du monde.
...
Le voile était déchiré qui couvre les abîmes de la Nature :
Il vit la source de la longue douleur du monde
Et la gueule du trou noir de l’Ignorance ;
Le mal qui garde les racines de la vie
A redressé la tête et l’a regardé dans les yeux.
...
Une Influence fatale s’est emparée des créatures
Une touche empoisonnée poursuivait l’esprit immortel ;
Sur la vie s’est posé le doigt hanté de la Mort
Obnubilant d’une brume d’erreur, de chagrin et de douleur
La volonté native de l’âme vers la lumière, la joie, la vérité.
Une déformation s’est lovée autour de l’existence
Prétendant être sa tournure même, la marche vraie de la Nature.
Un Mental pervertisseur et hostile en action
Embusqué dans chaque coin de la vie consciente
Corrompait la Vérité par les formules mêmes de la Vérité ;
Interceptant l’écoute de l’âme
Affligeant la connaissance d’une teinte de doute
Il captait les oracles des dieux occultes
Effaçait les signes de piste du pèlerinage de la Vie
Oblitérait les édits de roc solides gravés par le Temps,
Et sur les fondements mêmes de la Loi cosmique
Dressait les pylônes de bronze de son gouvernement pervers.
Même la Lumière et l’Amour, par l’envoûtement de ce danger masqué,
Se détournèrent de la nature radieuse des dieux
Et se changèrent en anges déchus et en soleils perfides,
Devenant eux-mêmes un danger et un charme
Une douceur maligne, un maléfice venu du ciel :
Son pouvoir pouvait déformer les choses les plus divines.
Un vent de chagrin a soufflé sur le monde ;
Toutes les pensées étaient assiégées par la fausseté
Tous les actes, frappés d’un défaut ou d’un signe de faillite,
Toutes les hautes tentatives, vouées à l’échec ou à quelque succès futile,
Mais personne ne savait la raison de sa ruine.
Le Masque gris susurrait,
Nul son ne s’entendait,
Mais une semence était semée dans le cœur ignorant
Porteuse d’un fruit noir de souffrance, de mort et de malheur.
...
Comme du fond d’obscures entrailles, il vit émerger
Le corps et le visage d’un sinistre Inaperçu
Caché derrière les beaux dehors de la vie.
Son commerce dangereux est la cause de notre souffrance.
Son souffle est un poison subtil dans le cœur des hommes ;
Tout le mal commence avec cette face ambiguë.
...
Il est arrivé à une région nue, vague, qui n’appartenait à personne ;
Là, n’importe qui pouvait entrer, mais nul ne pouvait rester longtemps.
C’était un no man’s land d’air maléfique,
Un voisinage grouillant de monde, sans une seule demeure,
Un territoire frontière entre le monde et l’enfer.
Là, l’irréalité était le seigneur de la Nature :
C’était un espace où rien ne pouvait être vrai
Car rien n’était ce qu’il prétendait être :
Une haute apparence drapait un vide spacieux.
Pourtant, rien ne voulait reconnaître sa propre prétention
Même à soi-même dans le cœur ambigu:
Une vaste tromperie était la loi des choses;
Par cette tromperie seulement ils pouvaient vivre.
...
Un Pouvoir qui riait de la méchanceté du monde,
Une ironie qui mariait les contraires de la terre
Et les jetait dans les bras l’un de l’autre pour se battre,
Posait un rictus sardonique sur la face de Dieu.
De loin, l’influence de cette Force entrait partout
Laissant sa marque de pied fourchu sur les poitrines;
Un cœur tordu et un étrange sourire sombre
Se moquaient de la sinistre comédie de la vie.
Présageant la venue d’une Forme périlleuse,
Un pas inquiétant étouffait sa marche désastreuse
Pour que nul ne puisse comprendre ni être sur ses gardes ;
Personne n’entendait jusqu’à ce que l’horrible poigne soit là.
Ou, au contraire, tout le monde augurait une approche divine,
Sentait un air de prophétie, un espoir céleste,
Attendait un évangile, guettait une étoile nouvelle.
Satan était visible, mais vêtu de lumière ;
Il semblait un ange secourable envoyé des cieux :
Il armait le mensonge avec les Écritures et avec la Loi ;
Il trompait avec sagesse, tuait l’âme avec vertu
Et conduisait à la perdition par le sentier du ciel.
Il prodiguait une splendide sensation de pouvoir et de joie,
Et quand venait l’avertissement du dedans
Il rassurait l’oreille avec de suaves accents
Ou capturait le mental dans son propre filet ;
Avec sa rigoureuse logique, le faux semblait vrai.
Stupéfiant les élus par son saint savoir
Il parlait comme par la voix même de Dieu.
L’air était plein de perfidie et de ruse ;
Parler de la vérité était un stratagème dans ces lieux ;
L’embuscade guettait dans un sourire
Et le péril se cachait sous le salut,
La confiance était sa porte d’entrée :
Le Mensonge venait en riant avec les yeux de la vérité ;
Chaque ami pouvait se changer en ennemi ou en espion,
La main que l’on serrait gardait dans ses manches un poignard
Et l’embrasse pouvait être la cage de fer de la Perte.
...
Et puis Sri Aurobindo de continuer son exploration avec de troublantes ressemblances avec la situation actuelle :
Puis la scène a changé, mais gardait son redoutable noyau :
Modifiant sa forme, la vie restait la même.
Une capitale était là, sans État :
Il n’y avait pas de dirigeant, seuls des groupes qui se battaient.
Il vit la cité de l’antique Ignorance
Fondée sur un sol qui ne connaissait pas la Lumière.
Là, chacun marchait seul dans sa propre obscurité :
Ils s’accordaient seulement à différer dans les chemins du Mal
Et à vivre à leur guise pour leur propre moi
Ou à imposer un mensonge et un égarement communs ;
Là, l’Ego était le seigneur sur son trône de paon
Et la fausseté siégeait à ses côtés, compagne et reine :
Le monde se tournait vers eux comme se tourne le Ciel vers la Vérité et Dieu.
L’Injustice se justifiait par d’impérieux décrets,
Les poids d’or de l’Erreur légalisaient le marché
Mais tous les poids étaient faux et nul poids n’était pareil ;
Sans cesse, elle était aux aguets avec sa balance et son glaive
De crainte que quelque parole sacrilège ne démasque
Les formules sanctifiées de sa vieille corruption.
Et sri Aurobindo de continuer sa description, terrible et belle, avant de donner quelques conseils...
Là, le mensonge était la vérité, et la vérité un mensonge.
Là, le voyageur du chemin ascendant
Doit faire halte un moment ou lentement traverser cet espace périlleux,
Une prière sur les lèvres et le grand Nom,
Car la route des cieux serpente par le défi des royaumes infernaux.
Si le glaive tranchant d’un total discernement ne fouille pas de sa pointe,
Il pourrait bien trébucher dans le filet sans fin de la fausseté.
Souvent, il doit regarder derrière lui, par-dessus son épaule,
Comme l’un qui sent le souffle de l’ennemi sur son cou,
Sinon, d’un coup traître par-derrière,
Il pourrait bien être jeté à terre, cloué sur le sol impie,
Transpercé dans le dos par le pieu cuisant du Malin.
Ainsi l’on peut tomber sur la route de l’Éternel,
Perdant la rare chance de l’esprit dans le Temps
Et nulle nouvelle de lui n’atteindra plus les dieux qui attendent,
Marqué “manquant” sur le registre des âmes,
Son nom classé parmi les espoirs échoués,
Telle une étoile morte et souvenue.
Seuls traversent ceux qui gardent Dieu dans leur cœur:
Le courage est leur armure, la foi est leur glaive, et ils doivent marcher,
La main prête à frapper, l’œil en éclaireur,
Jetant loin devant la javeline du regard,
Héros et soldats de l’armée de la Lumière.
Et sri Aurobindo de continuer son exploration :
Une race possédée habitait ces lieux.
Tapie dans les profondeurs de l’homme, une force démoniaque
Qui geint, réprimée par la loi du cœur humain,
Intimidée par le calme regard souverain de la Pensée,
Peut, dans une flambée comme un tremblement de terre de l’âme,
Se soulever et, faisant appel à sa nuit natale,
Renverser la raison, envahir la vie
Et poser son sabot sur le sol chancelant de la Nature :
Car tel est, pour ces forces, le fond brûlant de leur existence.
Une formidable énergie, un dieu monstre,
Cruel pour les forts, implacable pour les faibles,
Contemple le monde brutal et sans pitié qu’il a fait
Avec le regard glacé de son idée fixe.
...
Dans cette vaste tanière cynique des bêtes pensantes
On chercherait en vain une trace de pitié ou d’amour ;
Nulle note de douceur n’existait nulle part
Sauf la Force et ses acolytes: la rapacité et la haine ;
Il n’y avait rien pour aider la souffrance, et personne à sauver,
Personne n’osait résister ni prononcer une parole noble.
Armée de l’antique égide d’un Pouvoir tyrannique,
Signant les édits de sa loi redoutable
Et apposant le sceau du sang et de la torture,
L’obscurité proclamait ses slogans au monde.
Muni d’œillères, un silence servile étouffait le mental
Ou répétait seulement la leçon apprise
Tandis que, mitré, portant la crosse du bon pasteur,
Le Mensonge intronisait dans les cœurs prostrés et respectueux
Les cultes et les croyances qui organisent la mort vivante
Et tuent l’âme sur l’autel d’une imposture.
Tout le monde était trompé, ou servait sa propre tromperie ;
Dans cette atmosphère suffocante, la vérité ne pouvait pas vivre.
...
Ce peuple-là vantait sa norme unique et son type splendide :
Il calmait sa faim avec des rêves de pillage ;
Étalant la croix de sa servitude comme une couronne
Il s’accrochait à sa triste autonomie brutale.
Une voix de taureau beuglait effrontément dans sa langue d’airain ;
Sa clameur rauque et impudente emplissait l’espace
Menaçant quiconque osait écouter la vérité
Et revendiquait le monopole des oreilles assourdies ;
Un acquiescement hébété votait pour,
Et les dogmes des charlatans, hurlés dans la nuit,
Sanctifiaient pour l’âme déchue, autrefois crue un dieu,
La fierté de son absolu abyssal.
La fin de cette étape du voyage de Sri Aurobindo :
Découvreur solitaire en ces royaumes menaçants
Gardés du soleil comme des cités de termites,
Oppressé parmi ce grouillement et ces clameurs et ces milices,
Passant d’un crépuscule à l’autre, plus profond et plus dangereux,
Il luttait contre des pouvoirs qui arrachaient la lumière de son mental
Et martelaient en lui leurs influences collantes.
Puis il a émergé dans un vague espace sans murs.
...
Il entendait les voix redoutables qui nient ;
Assailli par des pensées pullulantes comme des hordes de spectres,
En proie au regard fixe des fantômes de l’obscurité,
Saisi par la terreur qui venait avec sa gueule de meurtre,
Tiré en bas et encore plus bas par une étrange volonté,
Le ciel là-haut était comme un communiqué de Désastre;
Il luttait pour abriter son esprit du désespoir
Mais sentait l’horreur de la Nuit grandissante
Et l’Abîme qui montait pour réclamer son âme.
Puis, tout s’est tu, l’antre des créatures et leurs formes,
Et la solitude l’enveloppait dans ses plis sans voix.
Tout s’est évanoui soudain comme une pensée oblitérée ;
Son esprit est devenu un gouffre creux qui écoutait,
Vide de l’illusion morte d’un monde :
Rien ne restait, pas même un visage du mal.
Il était seul avec la Nuit du python gris.
Un Rien sans nom, dense, conscient, muet,
Qui semblait vivant, mais sans corps et sans mental,
Assoiffé d’annihiler toute existence
Pour être à jamais seul et nu.
Comme dans l’étreinte intangible d’une bête sans forme,
Agrippé, étranglé par cette chose visqueuse et assoiffée,
Happé par quelque gueule noire de géant,
Une gorge engloutissante, un énorme ventre de destruction,
Son être a disparu de sa propre vision,
Aspiré par les abysses qui avaient faim de sa chute.
Un vide informe annulait la lutte de son cerveau
Une obscurité froide, inexorable, oppressait sa chair,
Une suggestion insidieuse, blafarde, glaçait son cœur ;
Halée par une force serpentine qui la tirait de sa chaude demeure
Et l’entraînait à l’abolition dans une vacuité béante
La vie s’accrochait à sa base par les cordes d’un souffle haletant ;
Son corps était lapé par une langue noire.
Suffoquée, l’existence se débattait pour survivre ;
L’espoir étranglé quittait son âme vide,
Abolies, la foi et la mémoire mouraient
Et tout ce qui aide l’esprit dans sa course.
Dans chaque nerf tendu et douloureux se glissait
Une peur sans nom, sans cri,
Laissant derrière elle un sillon poignant, frémissant.
Comme une marée s’approche d’une victime ligotée et inerte
Son mental, muet pour toujours, était saisi d’effroi par l’approche
D’une implacable éternité
De douleur inhumaine et intolérable.
Séparé de son espoir d’un ciel,
Il fallait supporter cela,
Il fallait exister à jamais sans la paix de l’extinction
Dans un lent Temps de souffrance et dans un Espace torturé ;
Un néant d’angoisse était son état sans fin.
Sa poitrine était devenue une vacuité froide
Et là où brillait autrefois une pensée lumineuse
Seule restait, tel un fantôme pâle, pétrifié,
Une incapacité de foi et d’espoir
Et l’atroce conviction d’une âme vaincue,
Immortelle encore mais dépouillée de sa divinité,
Le moi, perdu, et Dieu perdu
Et le contact avec des mondes plus heureux.
Pourtant il endurait, il faisait taire la vaine terreur,
Il supportait
L’étouffement reptilien de l’agonie et de l’effroi ;
Puis la paix est revenue et le regard souverain de l’âme.
Une calme Lumière réfutait le néant d’horreur ;
Immuable, sans mort, sans naissance,
Puissant et muet, le Dieu s’est réveillé en lui
Et affrontait la douleur et le danger du monde.
D’un regard, il dominait les vagues de la Nature :
Son esprit nu faisait face à l’Enfer nu.