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Publié par pascalemmanuel

Dans les œuvres de Sri Aurobindo il est des chapitres semblant constituer une unité en soi et ceux-ci me font souvent très forte impression. Ainsi en est-il du chapitre 7 de La vie divine, L'ego et les dualités. 10 petites pages seulement pour un si grand bienfait m'invite à recommander vivement la lecture intégrale. Je ne partagerai ici que quelques extraits avec les commentaires que cela m'inspire.

 

L’âme qui se tient sur le même arbre de la Nature est absorbée et leurrée, et elle s’afflige de n’être pas le Seigneur ; mais quand elle voit cet autre moi et sa grandeur qui est le Seigneur et qu’elle s’unit à Lui, alors toute affliction la quitte. Shvetâshvatara Upanishad. 1. IV. 7. (page 67)

D'emblée, n'est-ce pas là l'une des grandes énigmes de notre humanité et ce que nous cherchons tous, la guérison de toutes nos afflictions ? Comment ne pas être touché ? Ainsi Sri Aurobindo nous place directement au cœur du problème. Voyons les trois premiers paragraphes.

Si, en vérité, tout est Satchidânanda, la mort, la souffrance, le mal, la limitation ne peuvent être que les créations, positives dans leur effet pratique, négatives dans leur essence, d’une conscience déformante qui, depuis sa connaissance d’elle-même totale et unificatrice, est tombée dans l’erreur de la division et de l’expérience partielle. Telle est la chute de l’homme symbolisée par la parabole poétique de la Genèse hébraïque.

Cette chute est un détour : il quitte l’état de complète et pure acceptation de Dieu et de lui-même, ou, plutôt, de Dieu en lui, pour entrer dans une conscience séparatrice qui apporte avec elle tout le cortège des dualités, la vie et la mort, le bien et le mal, la joie et la douleur, la plénitude et le besoin, le fruit d’un être divisé. C’est à ce fruit qu’Adam et Ève, Purusha et Prakriti, l’âme tentée par la Nature, ont goûté.

La rédemption est accomplie lorsque l’homme recouvre l’universel dans l’individu et le spirituel dans la conscience physique.

Alors seulement l’âme dans la Nature est-elle autorisée à goûter au fruit de l’arbre de la vie, d’être comme le Divin et de vivre à jamais. Car c’est alors seulement que le but de sa descente dans la conscience matérielle peut être atteint : quand la connaissance du bien et du mal, de la joie et de la souffrance, de la vie et de la mort a été réalisée, quand l’âme humaine a recouvré une connaissance supérieure en laquelle ces contraires s’harmonisent et s’identifient dans l’universel, et qui transforme leurs divisions à l’image de l’Unité divine.

*

Pour Satchidânanda, étendu en toute chose dans le plus vaste partage et la plus impartiale universalité, la mort, la souffrance, le mal et la limitation ne peuvent être, au plus, que les termes inverses, les ombres de leurs lumineux contraires. Nous les ressentons comme des notes dans une dissonance. Elles expriment la séparation là où devrait exister l’unité, le malentendu au lieu de la compréhension, un effort pour trouver des harmonies indépendantes au lieu d’une adaptation de chacune à l’ensemble orchestral.

Toute totalité, même si elle n’existe que sur un seul registre des vibrations universelles, même si elle n’est que la totalité de la conscience physique et ne possède pas tout ce qui est en mouvement au-delà et par-derrière, doit être, dans cette mesure, un retour à l’harmonie et une réconciliation de contraires discordants.

D’autre part, pour Satchidânanda qui transcende les formes de l’univers, ces termes duels eux-mêmes ne peuvent plus, même dans une telle conception, être légitimement applicables. La transcendance transfigure ; elle ne réconcilie pas les contraires, mais plutôt les transmue en quelque chose qui les surpasse et qui efface leurs oppositions.

Cette dernière idée, même si ce n'est pas une idée mais un fait d'expérience, Mère en parle quelque dans l'Agenda. Quand les contraires fusionnent dans l'unité, ils changent de nature dit-elle, cela m'avait beaucoup intrigué. Et pour le reste, nous sommes au cœur même de la difficulté humaine si troublée par les éléments négatifs qui ne cessent de nous traverser et de nous tourmenter.

Cependant, nous devons tout d’abord nous efforcer de remettre l’individu en rapport avec l’harmonie de la totalité. Nous devons donc comprendre — sinon le problème resterait insoluble — que les termes par lesquels notre conscience actuelle traduit les valeurs de l’univers, bien qu’ils aient une justification pratique pour les besoins de l’expérience et du progrès humains, ne sont pas les seuls termes qui puissent les exprimer, ni des formulations complètes, correctes et définitives.

Il y a des états de conscience où la Mort n’est qu’un changement dans la Vie immortelle, la douleur un violent reflux de l’océan du délice universel, la limitation un retour de l’Infini sur lui-même, le mal un cercle que le bien décrit autour de sa propre perfection ; et tout cela n’existe pas seulement dans une conception abstraite, mais dans une vision concrète et dans une expérience constante et tangible. Parvenir à de tels états de conscience est peut-être pour l’individu l’une des étapes les plus importantes et les plus indispensables de son progrès vers sa propre perfection.

Je me suis souvent demandé comment changer notre regard (déformé) sur les choses pour une vision plus profonde et plus vraie. Déjà si nous pouvions regarder ces choses autrement, ce serait un bon début. Dans le paragraphe suivant Sri Aurobindo aborde le sujet rarement évoqué, souvent oublié, du danger que peut représenter une connaissance spirituelle dans un esprit mal préparé.

Il est certain que les valeurs pratiques provenant des sens et du mental sensoriel dualiste doivent être reconnues dans leur propre domaine et acceptées comme la norme pour les expériences de la vie ordinaire, jusqu’à ce qu’une harmonie plus vaste soit prête, en laquelle elles pourront entrer et se transformer, sans perdre le contact avec les réalités qu’elles représentent. Élargir les facultés sensorielles, sans posséder la connaissance qui peut donner aux anciennes valeurs sensorielles leur juste interprétation du point de vue nouveau, pourrait provoquer des désordres et des incapacités graves, rendant l’individu inapte à la vie pratique et à l’usage ordonné et discipliné de la raison.

De même, un élargissement de notre conscience mentale, passant de l’expérience des dualités de l’ego à une unité sans règles, avec une certaine forme de conscience globale, pourrait facilement susciter une confusion et une incapacité à mener une vie active parmi les hommes, au sein de l’ordre établi des relativités de ce monde.

Telle est sans doute la raison profonde de l’injonction de la Gîtâ, qui impose à l’homme de connaissance de ne pas ébranler les bases de la vie et de la pensée des ignorants ; car, stimulés par son exemple, mais incapables de comprendre le principe de son action, ils perdraient leur propre système de valeurs sans pouvoir atteindre à une base plus élevée.

"Ne pas ébranler les bases de la vie et de la pensée des ignorants"... voilà qui sur le plan pratique me laisse très perplexe. Jusqu'où cela va-t-il ? Est-ce que ce principe est sensé inclure aussi les événements les plus extérieurs ? En effet, jusqu'à la crise Covid, une majorité de la population avait encore une confiance, même relative, envers notre système de santé, nos institutions, nos médias, nos gouvernants, etc. Or, si nous avons observé des comportements hystériques de la part des "ignorants", c'est sans doute parce que, précisément, les bases sur lesquelles reposaient leurs vies et leurs croyances se sont effondrées.

Et il ne s'agit là que de choses fort simples. Que n'entendra-t-on si l'on aborde une immortalité potentielle, la capacité de se passer de nourriture ou la création prochaine d'une nouvelle espèce qui dépassera l'espèce humaine ? Ces sujets peuvent amener beaucoup de moqueries d'un côté et de l'autre, un grand trouble. Sans doute mieux vaut-il ne rien en DIRE et FAIRE ce que nous avons à faire pour notre propre évolution-transformation.

La vie et la puissance nouvelles de cet « entier » humain doivent nécessairement se fonder sur la réalisation des grandes vérités qui traduisent, dans notre propre conception des choses, la nature de l’existence divine.

Pour que cela soit possible, il faut que l’ego renonce à ses faux points de vue et à ses fausses certitudes, qu’il établisse une relation et une harmonie véritables avec les totalités dont il fait partie, et avec les transcendances d’où il est descendu, et qu’il s’ouvre parfaitement à une vérité et à une loi qui dépassent ses conventions — une vérité qui sera son accomplissement, et une loi qui sera sa délivrance.

Son but doit être d’abolir ces valeurs créées par une vision des choses basée sur l’ego ; son couronnement, de transcender les limitations, l’ignorance, la mort, la souffrance et le mal.

Voilà des éléments pourrait-on penser qui dépassent largement nos capacités. En effet, établir une relation vraie avec l'Universel et le Transcendant est une expérience qui parait tout à fait hors de notre portée. Pourtant, s'il en était réellement ainsi, il n'y aurait aucun espoir ni aucune évolution possible.

En fait je crois en l'aspiration et je crois en la proportionnalité. Augmenter la proportion de vérité nous dit Mère quelque part dans l'Agenda. Petit à petit, par la sincérité de notre aspiration, nous pouvons je crois que nous rapprocher d'une relation de plus en plus vraie avec l'Universel et le Transcendant. Rien ne se fera en un claquement de doigt mais rien que cela peut changer l'orientation d'une vie, une réorientation de notre gouvernail.

Clivia miniata – Conversion du but de la vie, de l'ego au Divin

Ensuite, pendant quelques paragraphes Sri Aurobindo développe l'importance de la Raison pure et de l'Intuition.

Parce qu’il a acquis la raison et, plus encore, parce qu’il a développé son pouvoir d’imagination et d’intuition, l’homme est capable de concevoir une existence plus haute que la sienne et même d’envisager la possibilité de s’élever par-delà son état actuel jusqu’à elle.

(...)

Et pourtant, le principe même de la raison porte en lui l’affirmation d’une Transcendance. Car dans son essence et sa finalité mêmes, la raison est une quête de la Connaissance, c’est-à-dire une quête de la Vérité par l’élimination de l’erreur. Son objectif, son but n’est pas de passer d’une grande à une moindre erreur, mais suppose une Vérité positive et préexistante, vers laquelle, à travers les dualités de la connaissance juste et de la connaissance fausse, nous pouvons avancer progressivement.

Avant de souligner que :

L’erreur de la raison pratique est d’être trop soumise au fait apparent dont elle peut immédiatement sentir la réalité, et de manquer de courage pour pousser l’examen des faits potentiels plus profonds jusqu’à ses conclusions logiques. Tout ce qui est, est la réalisation d’une potentialité antérieure ; la potentialité présente est l’indication d’une réalisation future.

Et dans ce cas particulier, les potentialités existent ; car la maîtrise des phénomènes dépend de la connaissance de leurs causes et de leurs processus, et si nous connaissons les causes de l’erreur, de la peine, de la douleur, de la mort, nous pouvons, avec quelque espoir de réussir, nous efforcer de les éliminer. Car la connaissance est pouvoir et maîtrise.

Je ne sais si nous sommes en capacité de mesurer la puissance de ce que Sri Aurobindo nous dit-là. Sri Aurobindo ne nous enseignes pas des trucs et des techniques et des pratiques mais nous mais nous place à chaque fois aussi près que possible du levier, du mécanisme, du processus qui nous permet de découvrir et de changer les choses. Il me semble que nous pourrions avantageusement méditer ce qu'il nous dit-là car nous sommes au cœur d'un des problèmes les plus poignants de l'existence humaine. Et comme nous l'a dit Mère, le remède est au centre du mal, le problème et la solution sont uns.

Dans le paragraphe suivant, Sri Aurobindo persiste et signe, il confirme la possibilité d'arriver à une solution plus satisfaisante. Je ne sais pas mais cela me paraît d'une portée tout à fait considérable.

En fait, nous poursuivons comme idéal, aussi loin que possible, l’élimination de tous ces phénomènes négatifs ou adverses. Nous cherchons constamment à réduire les causes d’erreur, de douleur et de souffrance. La science, à mesure que son savoir augmente, rêve de régenter la naissance et de prolonger indéfiniment la vie, sinon de triompher entièrement de la mort.

Mais n’envisageant que les causes extérieures ou secondaires, nous ne pouvons penser qu’à tenir ces phénomènes à distance et non à arracher, à sa racine même, ce contre quoi nous luttons. Et ainsi nous sommes limités parce que notre effort se porte sur des perceptions secondaires et non vers la connaissance fondamentale, et que nous connaissons le procédé des choses, et non leur essence. Nous arrivons de la sorte à une manipulation plus puissante des circonstances, pas à une réelle maîtrise.

Mais si nous pouvions saisir la nature et la cause essentielles de l’erreur, de la souffrance et de la mort, nous pourrions espérer en acquérir une maîtrise, non point relative, mais totale. Nous pourrions même espérer les éliminer complètement et justifier l’instinct dominant de notre nature par la conquête de ce bien, cette félicité, cette connaissance et cette immortalité absolus que nos intuitions perçoivent comme la condition véritable et ultime de l’être humain.

Sri Aurobindo nous ramène ainsi de façon absolument magistrale de l'accessoire à l'essentiel. Ainsi nous en venons aux derniers paragraphes de ce chapitre merveilleux de clarté aux solutions que nous propose Sri Aurobindo.

L’ancien Védânta nous offre une telle solution, dans la conception et l’expérience du Brahman comme l’unique fait universel et essentiel, et de la nature du Brahman comme Satchidânanda.

Dans ce point de vue, l’essence de toute vie est le mouvement d’une existence universelle et immortelle, l’essence de toute sensation et de toute émotion est le jeu d’une félicité d’être universelle et existant en soi, l’essence de toute pensée et de toute perception est le rayonnement d’une vérité universelle imprégnant toute chose, l’essence de toute activité est la progression d’un bien universel qui s’accomplit.

À l'évidence nous ne ressentons pas les choses ainsi. La raison vient de l'égo qui se perçoit de façon séparée.

Mais le jeu, le mouvement se manifeste dans des formes multiples, des tendances variées, dans une interaction d’énergies. La multiplicité rend possible l’intervention d’un facteur déterminant et temporairement déformant : l’ego individuel ; or l’ego, par nature, est une auto-limitation de la conscience qui ignore à dessein le reste de son jeu et se concentre exclusivement sur une seule forme, une seule combinaison de tendances, un seul champ du mouvement des énergies.

L’ego est le facteur qui détermine les réactions d’erreur, de souffrance, de douleur, de mal, de mort ; car il donne ces valeurs à des mouvements qui, autrement, auraient été représentés dans leur relation juste avec l’unique Existence, l’unique Félicité, l’unique Vérité, le Bien unique.

En rétablissant la relation vraie, nous pouvons éliminer les réactions déterminées par l’ego, les réduisant finalement à leurs véritables valeurs ; et cela peut s’accomplir par la juste participation de l’individu à la conscience de la totalité, et à la conscience du transcendant que la totalité représente.

(...)

L’ego limité est seulement un phénomène de conscience intermédiaire, nécessaire pour une certaine ligne de développement. En suivant cette ligne, l’individu peut atteindre à ce qui est au-delà de lui et qu’il représente, et continuer à le représenter, non plus comme un ego obscurci et limité, mais comme un centre du Divin et de la conscience universelle, embrassant, utilisant toutes les déterminations individuelles et en les transformant en une harmonie avec le Divin.

(...)

La dissolution de cette construction de l’ego par l’ouverture de l’individu à l’univers et à Dieu, est le moyen de cet accomplissement suprême, dont la vie égoïste n’est qu’un prélude, tout comme la vie animale n’était qu’un prélude à la vie humaine.

La réalisation du Tout dans l’individu par la transformation de l’ego limité en un centre conscient de l’unité et de la liberté divines, est le terme final de cet accomplissement.

Et le déferlement de l’Existence, de la Vérité, du Bien et de la Joie d’être infinis et absolus sur la Multiplicité dans le monde, est le résultat divin vers lequel se dirigent les cycles de notre évolution.

Telle est la naissance suprême que la Nature maternelle porte en son sein ; c’est cet enfantement que son labeur prépare.

Puissions-nous être dignes et remplis de gratitude pour le sublime dessein magnifique que le Divin nous réserve...

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