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Publié par pascalemmanuel

Certaines de ces paroles m'apparaissent d'une portée incalculable et apporter des clefs de compréhension tout à fait significatives. Puissent ces quelques extraits nourrir nos réflexions et nos méditations., avec en particulier ce passage extraordinaire(page 62)  :

L’animal se satisfait d’un minimum vital ; les dieux se contentent de leur splendeur. Mais l’homme n’aura de cesse qu’il n’ait atteint à quelque bien suprême. Il est le plus grand des êtres vivants parce qu’il est le plus insatisfait, parce que, plus que tout autre, il se sent étouffé par ses limitations. Lui seul, peut-être, est capable d’être saisi d’une frénésie divine pour un lointain idéal.

Mais revenons au début avec les premières citations :

Usha poursuit son chemin vers le but de celles qui vont au-delà. Elle est la première dans l’éternelle succession des aurores à venir. Elle s’élargit, faisant surgir l’être vivant, éveillant quelqu’un qui était mort.... Quelle est son ampleur quand elle s’harmonise avec les aurores qui brillèrent jadis et avec celles qui doivent briller maintenant ? Elle désire les anciens matins et accomplit leur lumière ; projetant au loin son illumination, elle entre en communion avec les aurores futures. Kutsa Angirasa – Rig-Véda. I. 113. 8, 10.

 

Triples sont ces suprêmes naissances de la force divine qui est dans le monde, elles sont vraies, elles sont désirables ; c’est là qu’il se meut, vaste, manifesté dans l’Infini, c’est là qu’il brille, pur, lumineux, et en lui tout s’accomplit.... Ce qui est immortel dans le mortel, ce qui possède la vérité, est un dieu établi au-dedans comme une énergie à l’œuvre dans nos pouvoirs divins.... Exalte-toi, ô Force, perce tous les voiles, manifeste en nous tout ce qui est Divin. Vâmadeva – Rig-Véda. IV. 1. 7 ; IV. 2. 1 ; IV. 4. 5. (page 11)

*

Mais il est bon que d’abord nous reconnaissions l’énorme, l’indispensable utilité de la période, si brève, du matérialisme rationaliste que l’humanité a traversée. Car pour pénétrer en toute sécurité dans ce vaste champ de données et d’expérience qui commence maintenant à nous rouvrir ses portes, il est nécessaire que l’intellect, par une discipline sévère, soit parvenu à un état de claire austérité. Chez les esprits immatures, cette expérience peut conduire aux plus dangereuses déformations, aux imaginations les plus trompeuses. (page 22)

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Autre que le Connu est Cela ; mais Cela dépasse aussi l’Inconnu. Kéna Upanishad I.3. (page 25)

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L’Énergie qui crée le monde ne peut rien être d’autre qu’une Volonté, et la Volonté n’est que la conscience s’appliquant à une œuvre en vue d’un résultat. (page 26)

Episcia cupreata – rose corail vif – La volonté manifestée dans la vie

La science elle-même commence à rêver d’une victoire physique sur la mort, à exprimer une soif insatiable de connaissance et à réaliser pour l’humanité quelque chose qui ressemble à une omnipotence terrestre. En ses travaux, l’Espace et le Temps se contractent au point de presque disparaître ; de mille façons, elle s’efforce de rendre l’homme maître des circonstances et d’alléger ainsi les chaînes de la causalité. La notion de limite, d’impossibilité commence à s’estomper, et il apparaît au contraire que tout ce que l’homme veut avec constance, il doit être finalement capable de l’accomplir, car la conscience de l’espèce finit toujours par en découvrir le moyen.

Ce n’est pas dans l’individu que cette omnipotence s’exprime ; c’est la Volonté collective de l’humanité qui la réalise au moyen des individus. Et un regard plus profond nous révèle que ce n’est même pas la Volonté consciente de la collectivité, mais une Puissance supraconsciente qui utilise l’individu comme centre et comme moyen, et la collectivité comme condition et champ d’action.

Or, qu’est cette puissance sinon le Dieu en l’homme, l’Identité infinie, l’Unité multiforme, l’Omniscient, l’Omnipotent, qui, ayant fait l’homme à Son image, avec l’ego pour centre d’action, et la race, le Nârâyana collectif1 , le vishvamânava2, pour forme et délimitation, cherche à exprimer en eux quelque image de l’unité, de l’omniscience, de l’omnipotence qui sont la propre conception du Divin ? « Ce qui est immortel dans les mortels est un Dieu établi au-dedans, comme une énergie que nos pouvoirs divins manifestent.3 » C’est ce vaste élan cosmique que le monde moderne, sans vraiment connaître son propre but, sert pourtant dans toutes ses activités et s’efforce subconsciemment de réaliser.

1. Un nom de Vishnu qui, en tant que Dieu en l’homme, vit constamment associé en une unité duelle à Nara, l’être humain.

2. L’homme universel.

3. Rig-Véda. IV.2.1

Cependant il y a toujours une limite et un obstacle — pour la connaissance, c’est la limite du champ matériel, et pour le Pouvoir, l’obstacle du mécanisme matériel. Mais là aussi, la tendance la plus récente est le signe puissant d’un avenir plus libre.

De même que nous voyons les avant-postes de la Connaissance scientifique se fixer de plus en plus sur les frontières séparant la matière de l’immatériel, de même les plus hautes réalisations des sciences appliquées sont celles qui tendent à simplifier, à réduire au minimum les mécanismes produisant ses effets les plus puissants. La télégraphie sans fil est le signe et le prétexte extérieur qu’a trouvé la Nature pour prendre une nouvelle orientation. Le moyen physique sensible de transmission intermédiaire de la force physique est supprimé ; il n’existe plus qu’aux points d’émission et de réception.

Eux-mêmes finiront par disparaître, car lorsqu’on partira d’une base juste pour étudier les lois et les forces supraphysiques, on trouvera infailliblement le moyen pour que le Mental se saisisse directement de l’énergie physique et la dirige avec précision vers son but. Là sont les portes — il nous faudra bien un jour le reconnaître — qui s’ouvrent sur les horizons immenses de l’avenir. (page 27-28)

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Pour qui connaît le Brahman comme le Non-Être, il devient simplement le non-existant. Pour qui sait que le Brahman Est, il est connu comme le réel dans l’existence. Taittirîya Upanishad II.6. (page 38)

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L’unification la plus complète possible entre l’Esprit et la Matière est donc le meilleur moyen d’atteindre à la vérité qui les réconcilie et d’établir ainsi des bases suffisamment solides pour les réconcilier pratiquement dans la vie intérieure de l’individu et dans son existence extérieure. (page 39)

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Le Mental atteint sa plénitude quand il devient un pur miroir de la Vérité de l’Être s’exprimant dans les symboles de l’univers, et la Vie, quand elle prête consciemment ses énergies à la parfaite représentation de soi du Divin dans les formes et les activités toujours renouvelées de l’existence universelle. (page 40)

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Au commencement, tout ceci était le Non-Être. C’est de là que l’Être est né. Taittirîya Upanishad. II.7. (page 41)

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Quand nous réfléchissons à ces choses, nous commençons à percevoir combien les mots que nous employons sont faibles malgré la violence de leurs affirmations, et combien déconcertants malgré leur précision trompeuse. Nous commençons aussi à sentir que les limitations que nous imposons au Brahman proviennent de l’étroitesse de l’expérience dans le mental individuel qui se concentre sur un des aspects de l’Inconnaissable et se hâte de nier ou de dénigrer tout le reste. Nous avons toujours tendance à traduire de façon trop rigide ce que nous pouvons concevoir ou connaître de l’Absolu dans les termes de notre propre relativité. Nous affirmons l’Unique et l’Identique en affirmant passionnément l’égoïsme de notre propre opinion et de nos expériences partielles et en les opposant aux opinions et aux expériences partielles d’autrui. Il est plus sage d’attendre, d’apprendre, de croître, et puisque la nécessité de notre propre perfection nous oblige à parler de choses qu’aucun langage humain ne peut exprimer, plus sage aussi de rechercher l’affirmation la plus vaste, la plus souple, la plus universelle, et de fonder sur elle l’harmonie la plus large et la plus intégrale. (page 43)

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Cette possibilité d’une impersonnalité totale et immobile et d’un Calme vide au-dedans, accomplissant extérieurement les œuvres des vérités éternelles, de l’Amour, de la Vérité, de la Droiture, était peut-être la véritable essence de l’enseignement du Bouddha — transcender l’ego et la chaîne des œuvres personnelles et l’identification avec les formes et les idées impermanentes, et non pas l’idéal mesquin d’une fuite hors de la souffrance et du tourment de la naissance physique. (page 44)

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S’il est vrai que le Moi seul existe, il doit être vrai aussi que tout est le Moi. Et si ce Moi, Dieu ou Brahman n’est pas un état d’impuissance, un pouvoir enchaîné, une personnalité limitée, mais le Tout conscient de soi, il doit y avoir en Lui, inhérente, quelque bonne raison d’être à la manifestation, et pour la découvrir nous devons partir de l’hypothèse qu’il existe un pouvoir, une sagesse, une vérité d’être dans tout ce qui est manifesté. La discorde et le mal apparent du monde doivent être admis dans leur propre sphère, mais nous ne devons pas nous laisser vaincre par eux. (page 45)

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Par l’Ignorance ils passent au-delà de la Mort, et par la Connaissance ils jouissent de l’Immortalité.... Par la Non-Naissance ils passent au-delà de la Mort, et par la Naissance ils jouissent de l’Immortalité. Îshâ Upanishad. Versets 11, 14. (page 47)

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Une Réalité omniprésente est la vérité de toute vie et de toute existence, qu’elle soit absolue ou relative, corporelle ou incorporelle, animée ou inanimée, intelligente ou inintelligente. Et dans toutes ses expressions infiniment variées et même constamment opposées, depuis les contradictions les plus proches de notre expérience ordinaire jusqu’aux plus lointaines antinomies qui se perdent aux confins de l’Ineffable, la Réalité est une, non une somme et un assemblage. De cette Réalité partent toutes les variations, en elle toutes les variations sont contenues, à elle toutes les variations retournent. Toutes les affirmations sont niées seulement pour nous conduire à une plus vaste affirmation de la même Réalité. Toutes les antinomies s’affrontent afin de reconnaître une Vérité unique dans leurs aspects opposés et d’embrasser, à travers le conflit, leur Unité mutuelle. Brahman est l’alpha et l’oméga. Brahman est l’Un en dehors de qui rien d’autre n’existe.

Mais cette unité est par nature indéfinissable. Quand nous essayons de l’envisager mentalement, nous sommes contraints de passer par une série infinie de conceptions et d’expériences. Et pourtant nous sommes finalement obligés de nier nos conceptions les plus larges, nos expériences les plus complètes, afin d’affirmer que la Réalité dépasse toute définition. Nous arrivons à la formule des sages de l’Inde, neti neti, « Ce n’est pas ceci, Ce n’est pas cela », il n’y a pas d’expérience qui puisse Le limiter, pas de conception qui puisse Le définir. (page 48)

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La vraie divinité de la nature n’est pas d’abandonner le plus bas à lui-même, mais de le transfigurer en la lumière du plan le plus haut que nous avons atteint. Le Brahman est intégral et unifie de nombreux états de conscience à la fois ; nous aussi, en manifestant la nature du Brahman, devons réaliser cette intégralité et tout embrasser. (page 51)

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Du point de vue moniste, l’âme individuelle est une avec le Suprême, son sens de la séparation est une ignorance ; échapper au sens de la séparation et s’identifier au Suprême est son salut. Mais qui profite alors de cette évasion ? Ce ne peut être le Moi suprême, car par définition, il est toujours et inaliénablement libre, immobile, silencieux et pur. Ce ne peut être le monde, car il demeure constamment enchaîné et ce n’est pas l’évasion d’une âme individuelle hors de l’Illusion universelle qui peut le délivrer. C’est l’âme individuelle elle-même qui réalise son bien suprême en s’évadant de la douleur et de la division pour entrer dans la paix et la béatitude. Il semblerait donc que l’âme individuelle ait une certaine forme de réalité, distincte du monde et du Suprême, même au moment de sa libération et de son illumination. (page 53)

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La libération de l’âme individuelle est donc la clef de l’action divine décisive ; elle est la nécessité divine primordiale et le pivot sur lequel tourne tout le reste. C’est le point de Lumière où la complète manifestation de soi voulue dans le Multiple commence à émerger. Mais l’âme libérée étend sa perfection de l’unité horizontalement aussi bien que verticalement. Son unité avec l’Un transcendant est incomplète sans son unité avec le Multiple cosmique. Et cette unité latérale se traduit par une multiplication, une reproduction de son propre état de libération en d’autres points de la Multiplicité. L’âme divine se reproduit en de semblables âmes libérées, comme l’animal se reproduit dans des corps similaires. Ainsi, même quand une seule âme est libérée, il y a une tendance à l’expansion et même à l’éclosion d’une même divine conscience de soi en d’autres âmes individuelles de notre humanité terrestre, et, qui sait, peut-être même au-delà de la conscience terrestre. Où fixerons-nous la limite de cette extension ? N’est-elle que légende cette parole qui veut que l’âme du Bouddha, lorsqu’il se tint au seuil du Nirvâna, du Non-Être, se retourna et fit vœu de ne jamais franchir le pas irrévocable tant qu’il y aurait sur terre un seul être non libéré du nœud de la souffrance, des chaînes de l’ego ?

Mais nous pouvons atteindre le plus haut sans nous effacer de l’extension cosmique. Le Brahman conserve toujours ses deux termes, liberté au-dedans et formation au-dehors, liberté de s’exprimer et de ne pas s’exprimer. Nous aussi, étant Cela, pouvons atteindre à la même divine possession de nous-mêmes. L’harmonie des deux tendances est la condition de toute vie ayant pour but de devenir vraiment divine. Rechercher la liberté en excluant ce qui est dépassé, mène, sur le chemin de la négation, au refus de ce que Dieu a accepté. Rechercher l’action en s’absorbant dans l’acte et dans l’énergie, conduit à une affirmation inférieure et à la négation du Suprême. Mais ce que Dieu combine et synthétise, pourquoi l’homme insisterait-il pour le fragmenter ? Être parfait comme Il est parfait est la condition pour Le réaliser intégralement. (page 55)

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L’Âme de l’homme, cette voyageuse, erre dans ce cycle du Brahman, immense, une totalité de vies, une totalité d’états, se pensant différente de l’Inspirateur du voyage. Acceptée par Lui, elle atteint son but, l’Immortalité. Shvetâshvatara Upanishad I. 6. (page 57)

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L’ascension vers la Vie divine est le voyage humain, l’Œuvre des œuvres, le Sacrifice acceptable. Elle est la seule tâche véritable de l’homme dans le monde, et la justification de son existence ; sans elle, il ne serait qu’un insecte rampant parmi d’autres insectes éphémères sur la surface d’une goutte d’eau et de boue qui a réussi à se former parmi les formidables immensités de l’univers physique. (page 58)

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L’univers et l’individu sont les deux apparences essentielles en lesquelles descend l’Inconnaissable et à travers lesquelles il doit être approché ; car les autres agrégats intermédiaires naissent seulement de leur interaction. Cette descente de la Réalité suprême est par nature une occultation ; dans la descente il y a des plans successifs, dans cette occultation, des voiles successifs. La révélation prend nécessairement la forme d’une ascension ; et nécessairement aussi, l’ascension et la révélation sont toutes deux progressives. Car chaque niveau successif de la descente du Divin est, pour l’homme, une étape de son ascension ; chaque voile qui cache le Dieu inconnu devient, pour celui qui aime et cherche le Divin, un instrument de Son dévoilement.

Hors du sommeil rythmique de la Nature matérielle inconsciente de l’Âme et de l’Idée qui maintiennent les activités ordonnées de son énergie, même dans sa transe matérielle muette et puissante, le monde s’efforce vers le rythme plus rapide, plus varié et plus désordonné de la Vie qui œuvre à l’extrême limite de la conscience de soi.

Hors de la Vie, il poursuit péniblement son ascension jusqu’au Mental où chaque élément s’éveille à la conscience de lui-même et de son monde, et dans cet éveil l’univers trouve le levier dont il avait besoin pour son œuvre la plus haute : une individualité consciente de soi. Mais le Mental reprend le travail pour le mener plus loin, non pour l’achever. C’est un ouvrier à l’intelligence aiguë mais limitée, qui prend les matériaux confus que lui offre la Vie, et, après les avoir améliorés, adaptés, diversifiés, organisés selon son propre pouvoir, les remet à l’Artiste suprême de notre humanité divine.

Cet Artiste demeure dans le Supramental, car le Supramental est le Surhomme. Ainsi notre monde doit-il encore s’élever par-delà le Mental jusqu’à un principe supérieur, un état supérieur, un dynamisme supérieur, dans lequel l’univers et l’individu prennent conscience de ce qu’ils sont tous deux et le possèdent, de telle sorte qu’ils s’expliquent, s’harmonisent, s’unissent l’un à l’autre. (page 60)

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Dans l’individu conscient, la Prakriti se retourne pour percevoir le Purusha, le Monde se met en quête du Moi ; Dieu étant devenu complètement la Nature, la Nature cherche à devenir progressivement Dieu. (page 61)

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D’autre part, l’univers est le moyen qui contraint l’individu à se réaliser lui-même. Il n’est pas seulement son fondement, son instrument, son champ, le matériau de l’Œuvre divine ; mais puisque la concentration de la Vie universelle que l’individu représente se fait dans certaines limites et n’est pas, comme l’unité intensive du Brahman, libre de toute notion de limite et de terme, l’individu doit aussi, nécessairement, s’universaliser et s’impersonnaliser afin de manifester le Tout divin qui est sa réalité.

Cependant, même lorsqu’il s’élargit le plus dans l’universalisation de la conscience, il se sent poussé à conserver un quelque chose, mystérieux et transcendant, que son sens de la personnalité représente de façon obscure et égoïste. Autrement il a manqué son but, il n’a pas résolu le problème qui lui a été posé, ni accompli l’œuvre divine pour laquelle il a accepté de naître.

L’univers se présente à l’individu comme Vie, comme un dynamisme dont il doit maîtriser tout le secret, et comme une masse de résultats qui s’entrechoquent, un tourbillon d’énergies potentielles dont il doit extraire un ordre suprême et une harmonie qui n’a pas encore été réalisée. Car tel est après tout le sens réel du progrès humain.

Ce n’est pas seulement une reformulation, en termes légèrement différents, de ce que la Nature physique a déjà accompli. La vie humaine ne saurait avoir non plus pour idéal le simple animal, reproduit sur un échelon mental supérieur. S’il en était ainsi, tout système ou tout ordre assurant un bien-être acceptable et une satisfaction mentale modérée aurait interrompu notre progrès.

L’animal se satisfait d’un minimum vital ; les dieux se contentent de leur splendeur. Mais l’homme n’aura de cesse qu’il n’ait atteint à quelque bien suprême. Il est le plus grand des êtres vivants parce qu’il est le plus insatisfait, parce que, plus que tout autre, il se sent étouffé par ses limitations. Lui seul, peut-être, est capable d’être saisi d’une frénésie divine pour un lointain idéal. (page 61-62)

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Éveillé à une connaissance de soi plus profonde que sa première notion mentale de lui-même, l’Homme commence à concevoir une formule et à percevoir une apparence de ce qu’il doit affirmer.

Mais à ses yeux, cela paraît suspendu entre deux négations de soi-même. Si, au-delà de son accomplissement actuel, il perçoit le pouvoir, la lumière, la félicité d’une existence infinie, consciente d’elle-même, s’il est touché par eux et traduit sa pensée ou son expérience en termes conformes à sa mentalité — Infinité, Omniscience, Omnipotence, Immortalité, Liberté, Amour, Béatitude, Dieu —, néanmoins ce soleil de sa vision semble briller entre une double Nuit, une obscurité en dessous, une plus vaste obscurité au-dessus. Car lorsqu’il s’efforce de le connaître parfaitement, cela paraît s’évanouir en quelque chose que pas un seul, ni même l’ensemble de ces termes, ne peut aucunement représenter. Finalement, son mental nie Dieu pour affirmer un Au-delà, ou du moins il semble trouver un Dieu qui se transcende Lui-même et se refuse à toutes nos conceptions.

Dans le monde également, en lui-même et autour de lui, l’Homme se heurte toujours aux opposés de ce qu’il affirme. La mort est son éternelle compagne, la limitation assiège son être et son expérience, l’erreur, l’inconscience, la faiblesse, l’inertie, le chagrin, la douleur, le mal oppriment constamment son effort. Tout cela le conduit encore à nier Dieu, ou, tout au moins, à penser que le Divin se nie Lui-même ou se cache sous un aspect ou un effet étranger à sa réalité véritable et éternelle.

Les termes de cette négation ne sont pas — comme ceux de la négation première et plus insaisissable — impossibles à concevoir et, par suite, naturellement mystérieux, inconnaissables pour le mental humain ; au contraire, ils paraissent connaissables, connus, définis — et pourtant mystérieux. L’homme ne sait pas ce qu’ils sont, pourquoi ils existent, comment ils en sont venus à exister. Il voit leurs processus, la façon dont ils l’affectent et lui apparaissent, mais il ne peut sonder leur réalité essentielle. (page 63)

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En vérité, il est probable qu’elles sont le résultat ou plutôt l’accompagnement inséparable, non d’une illusion, mais d’une relation fausse, fausse parce que fondée sur une vision erronée de ce que l’individu est dans l’univers, et, par conséquent, d’une attitude fausse envers Dieu comme envers la Nature, envers notre moi comme envers notre milieu.

Car ce que l’homme est devenu n’est plus en harmonie ni avec ce qu’est le monde qu’il habite, ni avec ce que lui-même devrait être et sera, et c’est pourquoi il est asservi à ces contradictions de la Vérité secrète des choses.

Vues ainsi, elles ne sont plus la punition d’une chute, mais les conditions d’un progrès. Elles sont les premiers éléments du travail qu’il doit accomplir, le prix qu’il doit payer pour la couronne qu’il espère gagner, le chemin étroit que suit la Nature pour s’affranchir de la Matière et devenir consciente ; elles sont à la fois sa rançon et son bien.

Car c’est sur la base, et à l’aide de ces relations fausses que les vraies doivent être trouvées. Par l’Ignorance nous devons traverser la mort. Le Véda lui aussi évoque, de façon cryptique, ces énergies pareilles à des femmes aux impulsions perverties, fourvoyées, qui font souffrir leur Seigneur et qui pourtant, malgré leur fausseté et leur malheur, construisent finalement « cette vaste Vérité », la Vérité qui est Béatitude.

Ce n’est donc pas quand il aura extirpé de lui-même le mal de la Nature par un acte de chirurgie morale, ou se sera séparé de la vie dans un recul d’horreur, mais quand il aura changé la Mort en une vie plus parfaite, quand il aura soulevé les petites choses de la limitation humaine jusqu’aux grandes choses de l’immensité divine, quand il aura transformé la souffrance en béatitude, converti le mal en son propre bien, traduit l’erreur et le mensonge en leur vérité secrète, que le sacrifice sera accompli, le voyage achevé, et que le Ciel et la Terre, devenus égaux, s’uniront dans la béatitude du Suprême.

Mais comment de tels contraires peuvent-ils se muer l’un en l’autre ? Par quelle alchimie ce plomb de la mortalité sera-t-il changé en l’or de l’Être divin ? Et si, dans leur essence, ils n’étaient pas des contraires ? S’ils étaient les manifestations d’une Réalité unique, identique en substance ? Alors, en vérité, une transmutation divine serait concevable. (page 64-65)

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Pour cela, il faut oser plonger sous la surface limpide des choses où le mental aime à se concentrer, explorer le vaste et l’obscur, pénétrer les profondeurs insondables de la conscience et nous identifier avec des états d’être qui nous sont étrangers. Le langage humain est d’un piètre secours dans une telle recherche ; mais nous pouvons du moins y trouver certains symboles, certaines images, et revenir avec quelques indications tout juste exprimables qui, comme une aide à la lumière de l’âme, projetteront sur le mental quelque reflet du dessein ineffable. (page 66)

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