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Publié par pascalemmanuel

Suite à l'interview de Hugues Moreau sur Jeanne d'Arc (revoir l'article) qui m'a tant impressionné, voici quelques commentaires son livre Dans le jardin de mon père.

"Et cette voix vint quasi à l'heure de midi, en été, dans le jardin de mon père." Interrogatoire de Jeanne, Rouen, 22 février 1431

Des deux  premiers chapitres sur les événements extérieurs, je n'ai retenu que le fait que, même après avoir rencontré le Dauphin et l'avoir fait sacré, même dans le camp français, ce ne fut pas si simple pour Jeanne. Souvent, elle voulait repartir au combat, parfois sans même attendre les renforts, alors qu'une partie du camp français continuait des négociations et cherchait des arrangements diplomatiques.

Dans le troisième chapitre à partir de l'arrestation de Jeanne, le 23 mai 1430, nous commençons à voir les manigances politiques et théologiques liées à l'organisation et au déroulement du procès. 19 ans après sa condamnation, est-ce peu ou beaucoup je l'ignore, les enquêtes en réhabilitation commencent (voir l'article) et aboutiront au procès en réhabilitation en 1455 et à la réhabilitation de Jeanne d'Arc prononcée le 7 juillet 1456, considérant que le procès de 1431 avait été "entaché de vol, calomnie, iniquité."

En attendant, Jeanne est emprisonnée depuis le 23 mai et rien que pour la rédaction de l'acte d'accusation, il aura fallu plusieurs mois. Il ne fut définitif qu'au 19 février de l'année suivante et le procès de Rouen put vraiment commencer avec 16 séances d'interrogatoire, entre le 21 février et 24 mars 1431, dont seulement les 6 premières furent publiques, les autres se tenant à huis clos, et en comité restreint. Son exécution eut lieu 30 mai 1431, elle avait 19 ans ! ! !

Ce n'est qu'avec les trois derniers chapitres que nous entrons davantage dans la vision spirituelle et mystique de Jeanne et cela devient alors passionnant.

Deux éléments principaux ont retenu mon attention.

L'abandon total à Dieu

Sur le plan personnel, avant même le début de sa mission publique, Jeanne menait déjà une vie très pieuse, avec une assiduité pour se rendre aux offices, s'accordant de long moments de prière, faisant preuve de charité...

Jeanne d'Arc venant consulter l'ermite de Vaucouleurs – Richard-François, Fleury (1819) – Musée du Louvre

Maintenant, la mystique de Jeanne repose avant tout sur une obéissance absolue à la volonté divine qui se manifestait en elle par l'intermédiaire de ses visions, de ses voix, de son conseil, comme elle disait, composé de Saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite.  

En voici quelques exemples avec quelques propos tenus par des témoins ou par elle lors de son procès :

- "Elle dit encore qu'elle ne vint en France que par commandement de Dieu."

- "Tout ce que j'ai fait est par le commandement du Seigneur."

- "Il n'y eut rien au monde dans ce qu'elle fit, qui ne fut du commandement de Dieu."

- "Elle n'a pris cet habit ni rien fait que par le commandement de Dieu et des anges."

- "Tout ce que je fais de bien, je l'ai fait par le commandement de mes voix."

- "De tout son pouvoir elle a accompli le commandement de Dieu à elle fait par ses voix, en ce qu'elle a pu comprendre."

En cela, cela rappelait sainte Thérèse d'Avila, fondatrice du Carmel (avec saint Jean de la Croix) et dont les écrits insistent sur l'obéissance, la soumission à la volonté divine comme source de son action  : "La voix la plus rapide pour atteindre la plus haute perfection est l'obéissance." 

Hugues Moreau écrit de fort belles pages sur cette mystique de l'abandon total à l'intention divine, jusqu'au bout, même quand elle comprit que cela irait jusqu'à son martyre. 

"Les voix l'assurèrent d'une délivrance dont elle sembla d'abord ne saisir que l'acception extérieure : "... Elle ne sait si ce sera en tant étant délivrée de prison, ou,  quand elle serait en jugement,s'il surviendrait un trouble, par le moyen duquel elle pourrait être libérée. Et elle croit que ce sera l'un ou l'autre." notèrent les greffiers. (*)

(*) "Dit qu'elle a demandé à ses voix trois choses : sa libération, que Dieu aide les Français et garde bien les villes de leur obéissance et le salut de son âme" (interrogatoire du 14 mars, Tisset, id., p. 128)

Cette réponse renouvela une déclaration du 3 mars : "Oui, vraiment, elles m'ont dit que je serais libérée, mais je ne sais ni le jour ni l'heure, et que fasse hardiment bon visage.

Jeanne, cependant, perçu une insistance : "Prends tout en gré, ne te soucie pas de ton martyre ; tu viendras finalement dans le royaume de paradis. Et les voix lui ont dit simplement et absolument, c'est à savoir sans faute."

.../...

Acceptant son sort, Jeanne s'en remit finalement à Dieu : "Et elle appelle cela martyre pour la peine et adversité qu'elle souffre en prison, et elle ne sait si elle souffrira une plus grande peine, mais de cela elle se rapporte à Dieu." (*) "Je sais bien que ces Anglais me feront mourir" déclara-t-elle à Jean de Luxembourg quelques temps après." (*)

(*) Interrogatoire du 14 mars, Tisset, op. cit., p; 128  et déposition d'Aimon de Macy (Duparc, op. cit., t. IV, p. 87)

Mystique du Royaume

La mystique de Jeanne s'inscrit dans l'histoire et comme le note le théologien Charles-André Bernard dans Le Dieu des mystiques : "Le mysticisme complet est action... Les grands mystiques ont généralement été des hommes et des femmes d'action d'un bon sens supérieur."

(Soit dit en passant, ce court ouvrage de 150 pages contient 10 pages de bibliographie, ce qui donne à penser que l'auteur à lu la totalité des livres publiés sur Jeanne d'Arc.)

Plus profonde et plus complexe, la mission de Jeanne relève d'une mystique du royaume, terrestre et céleste. Aspect si profond qu'il mériterait à lui seul un ouvrage entier. Voici ce que ma pensée très superficielle a pu saisir :

Lorsque Jeanne rencontre pour la première fois le Dauphin, une vision lui apparaît dans laquelle elle voit un ange s'incliner devant le Dauphin et un autre lui poser une couronne céleste sur la tête. C'est ainsi qu'elle reconnu qui était le Dauphin.

Plus tard, et je cite Hugues Moreau, "Pleinement consciente du sens de sa mission et de la nature de chacun de ses actes, elle demanda au Dauphin, un jour à Chinon en présence du duc d'Alençon et de Georges de la Trémoille, de lui remettre le royaume, afin qu'elle le restituât à Dieu.

Charles accepta. "Voici le plus pauvre chevalier de son royaume" dit-elle alors en désignant le Dauphin, puis, obéissant à un ordre divin, elle lui redonna le royaume. 

Jeanne fit ensuite rédiger un acte notarié attestant de son geste. (*) Cet épisode illustra l'action de Jeanne - le renouvellement de l'alliance royale dans la soumission à l'intention divine -, mais par son mode imagé, par sa structure ternaire, conforme au langage johannique, cet échange dissimula un message spirituel : l'annonce d'une nouvelle étape de la Révélation."

(*) Cet scène, décrite par le duc d'Alençon (Duparc, op. cit. t. IV, p. 64) est rapportée avec plus de précision par le dominicain Jean Dupuy dans son Recueil historique (cité par Contamine, Dictionnaire... p. 116)

Jeanne d'Arc au sacre du roi Charles VII, dans la cathédrale de Reims – Ingres (1854) – Musée du Louvre

Aujourd'hui, lorsque nous entendons l'expression consacrée, "monarchie de droit divin", nous levons les yeux au ciel d'un air entendu, comme si nous avions perdu la tête, et pourtant, cela rendait compte d'une réalité occulte qui nous dépasse.

Ailleurs dans le livre, Hugues Moreau rappelle que le baptême de Clovis rappelait le baptême du Christ et celait ainsi une alliance entre Dieu et les rois de France. 

"Par sa dimension sacramentelle, par le caractère primordial de sa fonction religieuse, le sacre de Charles permit la restitution d'un ordre juridique aux plans étagés, du céleste au terrestre, du droit de Dieu à celui de la cité. Il rétablit le lien entre le ciel et la terre, d'un point de vue à la fois symbolique et fonctionnel, et replaça la royauté capétienne dans une ligne conforme à ses origines."

Que Dieu intervienne dans le cœur des hommes à titre individuel est plus facilement concevable, mais qu'il se mêle de l'histoire des hommes au plus haut niveau, voilà qui est plus mystérieux.

Ainsi, la mission publique de Jeanne n'était pas seulement de "bouter les Anglais hors de France", ni même de rétablir les institutions, il s'agissait aussi dans ce rituel occulte, de restaurer l'alliance entre le royaume terrestre et le royaume céleste : le Dauphin remet le royaume entre les mains de Jeanne, l'envoyée de Dieu pour qu'elle le remette à Dieu et en retour, Dieu restitue le royaume à Charles VII ! 

Aujourd'hui, les Eglises sont vides, Mère nous a assuré que le temps des religions était terminé et lorsque nous entendons parler de nos racines judéo chrétiennes, on a l'impression que tout le monde s'en fou ou presque. Pourtant, au niveau occulte, cela veut sans doute encore dire quelque chose et il faudrait peut-être regarder la question d'un peu plus près. S'il y a quelque chose de beau et de vrai dans cette histoire de France-Chrétienne, il faut le garder car, qu'on le veuille ou non, ce sont nos racines et toucher à des racines si profondes a peut-être des conséquences que nous sous estimons. Je ne sais pas, le sujet est trop grand pour moi, j'invite juste à ne pas trop vite jeter le bébé avec l'eau du bain. 

Le paragraphe suivant est encore plus étonnant : "Dès lors, si les trois phases de cette scène désignèrent la venue du Christ dans la geste (1) de Jeanne, préalablement à l'avènement du Royaume de Dieu, elles doivent aussi être entendues dans un sens prophétique, dans un dialogue avec l'histoire. Un dialogue qu'il nous est possible d'établir aujourd'hui."

(1) GESTE : GENRE ET SENS

Un geste n.m. = un mouvement du corps (faire des gestes) ; manière de mouvoir le corps (précision dans le geste) ; action remarquable qui frappe par sa générosité, sa noblesse (beau geste).

Une geste n.f. = un ensemble de poèmes épiques du Moyen Âge relatant les hauts faits de personnages historiques ou légendaires (latin gesta, exploits). La geste du roi Arthur. Le mot est employé comme terme technique d'histoire littéraire, et dans la locution courante les faits et gestes de quelqu'un (= ses actions et sa conduite).

"L'image de Charles remettant à Jeanne le royaume présagea la fin du royaume terrestre, une fin signifiée de fait par l'exécution de Louis XVI en l'an 1793. 365 ans (2) séparent la venue de Jeanne de l'exécution du roi, antithèse de l'aventure johannique, soit le nombre d'une année."

(2) J'ai fais le calcul, 365 ans, nous ramène à l'année 1428 ce qui correspond au début de la mission publique de Jeanne, qui notons le, dura trois ans, comme celle du Christ. 

"Or, Jeanne, d'après le témoignage de Jean d'Alençon, évoqua cette durée (*). Elle dit parfois au roi "qu'elle durerait un an, et non beaucoup plus." Souvenons-nous que dans son univers, réalité temporelles et langage symbolique se recoupent." 

(*) Témoignage du 3 mai 1456 (Duparc, Procès en nullité..., op. cit., t. IV, p. 69)

Continuons encore un peu avec les paragraphes suivants :

"L'année s'est écoulée et le royaume se trouve maintenant aux mains de Dieu pour un temps encore indéterminé de préparation. L'image du Dauphin dépouillé exprime cette traversée de l'univers nocturne de la disparition du monde ancien, de l'abandon même de Dieu, le temps eschatologique de la mort des deux témoins, selon les mots de Patmos, annonçant la Parousie, le retour du Christ et la restauration du royaume, qui ne peut être alors que le Royaume céleste." 

Parousie : nom féminin, (grec parousia, présence) : retour glorieux du Christ à la fin des temps en vue de l'établissement définitif du Royaume de Dieu. (Larousse) 

Voilà qui rejoint la prochaine manifestation inévitable et intégrale de la Vérité annoncée par Sri Aurobindo-Mère. C'est la raison pour laquelle, selon moi, toute cette histoire avec Jeanne d'Arc, ce n'est pas un truc du passé, et au contraire, cela intéresse fichtrement le présent. 

"Dans un autre dialogue, son échange avec avec les juges à propos de la rencontre à Chinon, Jeanne désigna cette dernière étape par l'image du signe apporté par l'ange, en fait la couronne mystique de l'action de l'Esprit. Ce signe "...durera jusqu'à 1000 ans et plus dit elle" (*), les 1000 ans signifiant le temps de l'Esprit, le temps des noces devant advenir après les 4000 ans du temps du Père et les 2000 ans du temps du Fils annoncé par les prophètes : "Un temps, des temps et un demi-temps."

(*) Séance du 10 mars (Tisset, Procès de condamnation...op. cit., t. II, p. 108)

"Le royaume était donc appelé à durer en dépit de son anéantissement effectif à la suite du traité de Troyes en 1420." 

"Toutefois, pour qu'il se prolongeât, pour que son chemin dépassât le cycle de la royauté davidique et que les temps advinssent, il fallu une nouvelle Passion marquant l'acquiescement des hommes, un don mystique pour le rachat du royaume, une Passion annonciatrice d'un affranchissement, non pas identique à celle du Fils de Dieu, l'unique événement contenant la Révélation dans son intégralité, mais une Passion par le bûcher, par le feu de la divinisation, mystère de la Charité dont témoigna le miracle du cœur rougeoyant et indestructible de Jeanne.

La survie du royaume grâce à l'action de Jeanne ne se justifie que par ce lien de son histoire à l'accomplissement de l'Ecriture et à l'achèvement de son cycle prophétique. Le royaume y apparaît comme le cadre préalable de la transfiguration du monde dans le vouloir du Christ, le pacte de Reims comme l'annonce du règne trinitaire. L'ultime portée de l'épopée johannique tient à cette dimension eschatologique et parousiaque en correspondance avec l'Apocalypse de Jean, telles que l'indiquent tout au long de cette aventure la présence des anges et la manifestation de saint Michel symbolisée par Jeanne en armure." 

Deux autres points pour terminer cette présentation.

La mission de Jeanne ne s'arrête pas au moment de son arrestation ; au contraire, le procès en lui-même avec sa Passion finale en est l'aboutissement. La similitude avec la vie de Jésus est évidente.

Jeanne (1412-1431) est loin d'être la seule femme mystique "de l'époque". Nous avons déjà évoqué sainte Thérèse d'Avila (1515-1582). Hugues Moreau mentionne aussi Angèle de Foligno (1248-1309), Catherine de Suède (1322-1381), Marie de Maillé (1331-1414), Catherine de Sienne (1347-1380), Dorothée de Monteau (1347-1394), Margery Kempe (vers 1373 - vers 1436 ou après 1438), Colette de Corbie (1381-1447), Elisabeth de Reute (1386-1420),  Jeanne de France (1464-1505) (seconde fille de Louis XI et de Charlotte de Savoie), Marie de l'Incarnation (1599-1672). 

Ceci pour dire que ces temps étaient riches sur le plan spirituel et l'Eglise se démenait comme un beau diable pour lutter contre ce qu'elle appelait les hérétiques. Certaines pages m'ont rappelé la situation actuelle où tous ceux qui sont en désaccord avec le dogme officiel sont excommunié, mis au ban de la société, calomnié, chassé des médias...

Sur le fond, nous voyons la même intolérance, les mêmes mécanismes, seule la forme à changé : la plupart des réfractaires ne risquent plus la mise à mort physique, seulement la mise à mort sociale. Encore que, la puissance publique ou les puissances privées ne se sont jamais privé de faire assassiner une personne vraiment gênante. 

En conclusion, avant dernier paragraphe du livre :

"Ce n'est donc pas seulement un drame du conflit franco-anglais qui survint à Rouen, mais un événement spirituel, une théophanie dont les enseignements théologiques et prophétiques se révéleront dans leur plénitude le moment venu. Inscrit dans le champ politique et guerrier, un tel élan mystique est en effet porteur d'un message. 

En situant son expérience dans l'histoire, Jeanne soumit les principes de l'action dans le monde à une dialectique de la puissance et de la vulnérabilité, de l'épaisseur et de la lumière, de la détermination et de l'abandon. Elle établit la relation entre le combat terrestre et le combat céleste dans la perspective de l'avènement du Royaume."

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