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Publié par pascalemmanuel

Une lettre magnifique de Satprem du 7 septembre 1977 adressée à André Brincourt, après le départ de sa femme Jane, publiée dans le tome 1 des Carnets d'une Apocalypse. Puisse cette lettre nous inspirer et nous inciter à nous tourner vers ce qui sait en nous, à la recherche de ce fameux secret merveilleux que nous avons sans l'avoir.

André,
C’est comme s’il y avait un secret féerique et merveilleux au centre de l’être humain — mais pas au centre « spirituel » : dans son corps. Peut-être parce que c’est la dernière cachette de l’« âme », ce quelque chose de très secret et que nous ne connaissons pas vraiment, ni les spiritualistes, ni les matérialistes. C’est comme un or très spécial qui a le pouvoir de tout changer : juste un petit choc de « ça », une petite seconde de ça, et nos lois sacrées s’écroulent — plus de loin, plus de là-bas, ni de hier, de demain, ni de lourd, ni de mort. Une autre gravitation physique vraiment. Un formidable trou dans notre bocal blindé et mathématique. Ce Secret, c’est la mémoire de nos contes de fées, une vieille mémoire que l’on retrouve partout, tenace, irrépressible.

On a mis là-dessus des religions et des philosophies ; la Science a voulu mettre son grain de sel sur la queue de cet impertinent oiseau et faire mieux que lui, à coups d’électronique ou de Boeing 707 ; d’autres aussi ont voulu faire mieux que lui à coups de méditations et d’évangélisations et de « saluts » (mon dieu), dans un au-delà qui est tout ici, justement dans une petite cellule féerique. Chacun à sa manière a voulu emprisonner l’oiseau : à Thèbes, c’était d’une façon, et à Éleusis d’une autre, à coups de magie et d’occultisme et de promenades célestes — d’autres encore, à Athènes, ont voulu l’enfermer dans quelque merveille Apollinienne ou quelques lignes raphaéliques... Tout le monde a essayé à sa façon.

Et on meurt, et on meurt parce qu’on n’a pas encore attrapé la façon. La mort, c’est pour nous obliger à la vraie façon, c’est pour casser la vieille formule qui nous emprisonnait : il y a des formules occultes et mathématiques et religieuses ; il y a nos petites formules esthétiques ou démocratiques ; nos petits coins privilégiés pour apprivoiser l’oiseau. Et ça casse, ça casse encore parce qu’on n’a pas trouvé le Secret, parce qu’il faut trouver le Secret.

Quand on ouvre, une seconde, les yeux sur le vrai Secret, alors on touche si concrètement la futilité, l’énorme illusion du bocal de mort mathématique et médicale dans lequel nous sommes enfermés, que c’est un émerveillement. On se demande comment on a pu vivre tant d’années dans un pareil truc à répéter sa petite histoire. On voit, on touche un autre monde physique où tout cela n’est pas. C’est un formidable fantôme de gravitation et d’équations et de loin et de haut et d’après-demain. Et puis on débouche dans le vrai, les yeux écarquillés, la Vraie Terre. Si l’« âme », une seconde, débouche là, tout se renverse.

L’« autre », l’enfant dehors qui joue aux mathématiques ou à la biologie ou au Figaro, n’y comprend rien : il est bouché. Alors il dit : oh ! comme c’est étrange, quelle jolie poésie, un joli petit clin d’œil, et puis... ça passe. Après tout c’est « la vie ». Et il faut des siècles, beaucoup de siècles, avant que ce gros personnage humain consente à son conte de fées vivant.

Jane, un jour, a ouvert l’œil vrai, et dehors elle s’en est à peine aperçue, sauf que cela faisait une petite vibration pas comme d’habitude. Mais dedans, elle savait. Dedans nous savons tous, nous nous souvenons tous, c’est notre mémoire d’or. C’est notre « moi » véritable, celui qui s’habille de Peau-Rouge ou de Premier Ministre, de Japonais ou d’ecclésiastique, de truand, de mille façons. Et si ce moi s’aperçoit que l’autre, là, dehors, est coincé dans une vieille histoire dont il ne peut pas sortir, où il ne progresse plus : il casse le fil et « s’en va », la mort c’est une blague. Il va se rhabiller de blanc ou de Russe, de poète ou de va-nu-pieds, pour continuer à marcher, marcher — parce qu’il va vers son Secret enfin vivant, sur la vraie terre réalisée où toutes les gravitations tombent en poudre devant une autre Gravitation légère et féerique.

Alors, dehors, nous crions, pleurons, nous nous lamentons et n’y comprenons rien, mais, dedans, il y a quelqu’un qui comprend très bien, et qui quitte le vieux vêtement comme une histoire usée. Dedans, il y a un autre regard, féerique, qui voit loin et loin, et avant et après, qui voit la longue histoire où, un jour, enfin, on pourra être ça dans un corps sur deux pattes. Et quelquefois ce regard s’impatiente de la petite idiotie extérieure qui continue son fourbi comme d’habitude alors qu’il y a une telle merveille à vivre, à incarner.

Et si celui-ci n’y comprend rien ou ne veut pas changer, il casse le moule pour aller plus loin, pour trouver le corps enfin où l’âme sera comme chez elle, où l’âme sera son propre corps enfin. Et ce sera le conte de fées pour toujours et pour tous les jours sur la terre. Jane a eu un clin d’œil de ce Vrai-là, et comme c’est une âme décidée, sans peur, sans compromis, elle a dit Zut ! et voilà .

Mais nous qui restons dans notre peau très gravitationnelle et gravitante, dans notre douleur qui pose enfin la vraie question, nous pouvons continuer le chemin nouveau sans nécessairement casser le vieux moule ; nous pouvons consciemment faire la jonction avec notre Secret, notre féerique pouvoir, notre enchantement pour toujours et tous les jours. Nous pouvons laisser la vieille habitude d’être comme un mourant doué de Figaro et de mathématiques, et courir, léger, la vraie Aventure — hâter l’heure, ouvrir les portes du corps. Pourquoi pas ?

C’est cela, le Matérialisme Divin.

C’est l’heure des corps libérés... si nous voulons bien croire en notre conte de fées. Si la terre, au lieu de neutrons et de dynamite, veut bien choisir la porte du sourire léger.
 

Jane a mieux compris cela. Et elle demande, peut-être, à son compagnon, de tenter l’aventure et de trouver le lieu où les parois du bocal mortel fondent comme par enchantement. Alors ils riront bien ensemble.

C’est l’Heure où l’on peut. C’est l’heure où la Terre peut. Et le ciel sera sur la terre. Et la mort n’avait jamais été.

Je vous embrasse,

Satprem

 

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