Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par pascalemmanuel

Dans ces deux dernières lettres de Pavitra, j'attire particulièrement l'attention, dans la première, au paragraphe concernant la réincarnation et dans la seconde, sur nos zones d'ombres. je joins aussi le document texte des 5 lettres, auquel j'ajouterai prochainement, sa causerie aux enfants de l'Ashram ainsi que, dernier texte à retranscrire, son monologue du savant.

17 mars 1929

J’espère que bien des questions de votre dernière lettre ont entre-temps trouvé quelque réponse dans vos études et vos méditations. Il est très probable aussi qu’un certain nombre d’autres questions connexes se seront posées dans votre mental. Le mental est comme un papillon qui va de fleur en fleur, attiré par tout ce qui entre dans son champ visuel. Et quand il est préoccupé par un problème, ce problème lui semble si extraordinairement important qu’il croit, s’il ne peut pas trouver la solution, qu’il ne peut plus avancer. Mais ce n’est qu’une apparence et il est souvent bon de ne pas recevoir de réponse à la multitude des questions soulevées par un intellect exagérément questionneur, car cela n’aide qu’à édifier des échafaudages illusoires, encourage l’agitation mentale et ses recherches superficielles et épaissit la brume qui nous cache la Lumière.

Je ne faisais pas allusion aux questions relatives à la pratique du yoga, mais à celles qui relèvent de la sphère de l’intellect abstrait.

Cependant, jusqu’à ce que le mental soit tranquillisé et accepte la loi supérieure, on peut lui permettre une certaine somme d’activité. Dans cette intention, je vous avais recommandé l’étude des œuvres de Sri Aurobindo, et il vous a lui-même conseillé de lire des livres sur les Tantra qui vous aideront probablement à élargir vos conceptions philosophiques de la vie. Mais ces livres doivent être lus avec le but précis de tranquilliser le mental et de le rendre attentif à la lumière intérieure, de le mettre, pour ainsi dire, dans un état de passivité concentrée tournée vers le Divin, et non pour l’amour d’une étude spéculative de ces questions ni pour accumuler des faits et des opinions, comme si vous vouliez présenter une thèse à la Sorbonne ou discuter avec des érudits. Qu’importe, après tout, si après avoir lu un livre spirituel, vous ne vous souvenez pas de son contenu, pourvu qu’en le lisant, votre mental tranquille, concentré, à l’unisson de votre conscience supérieure ! De cette façon, le livre aura rempli son but, qui était d’élever votre conscience à son niveau le plus haut et de vous rendre réceptif aux forces d’en haut.

L’expérience intérieure est la seule chose qui importe vraiment, et vous progresserez davantage en vous libérant du mental et de ses mouvements qu’en accumulant simplement des idées livresques sur les systèmes des Shânkara, Nâgârjuna ! Si vous comprenez cela, vous aurez fait un grand pas en avant.

Les questions que vous posez sur la valeur et la relativité du monde objectif, et sur l’existence et la nature de Dieu, ne peuvent s’éclaircir que difficilement et ne peuvent guère se résoudre dans une courte lettre. Au lieu d’en parler brièvement, je vous conseillerais de lire avec soin le deuxième des Essays on the Gita de Sri Aurobindo, où ces problèmes sont traités à fond.

Il est évident que le Monisme de Shankara, qui voit le Divin seulement en l’Être impersonnel, immuable, unique, seule et ultime Réalité de l’univers manifesté, est impuissant à donner une explication satisfaisante de cet univers et à nous révéler son sens. Il est très difficile de comprendre pourquoi et comment l’immuable, le Moi absolu et non conditionné, qui contient éternellement tout en son essence, a produit ce monde changeant, relatif et conditionné. On est obligé, alors, de ne voir dans la manifestation qu’une illusion, une Mâyâ sans valeur et sans dessein d’où l’on doit s’échapper par n’importe quel moyen et le plus vite possible. Quel pauvre sens c’est donner là au cosmos et à l’homme ! Sans doute y a-t-il un élément de Vérité dans ce monisme, mais il est incomplet, et, par leur exclusivisme, les conclusions auxquelles il arrive logiquement sont fausses. Pour plus de détails, je vous renvoie au livre que j’ai mentionné ci-dessus.

D’autre part je voudrais attirer votre attention sur un point. Il est tout à fait vrai que le monde manifesté est relatif et passager, mais en tant que tel, il est le champ de manifestation du Divin, et c’est dans ce monde et non dans un autre que nous devons vaincre. Il est vrai aussi que les coutumes sociales et mondaines, de même que les lois humaines, sont imparfaites, changeantes et vides de valeur spirituelle, et par conséquent l’aspirant à la vie divine doit s’en libérer. Mais il ne peut les rejeter que quand il accepte la loi supérieure du Divin, et non pour satisfaire les impulsions désordonnées de sa nature inférieure. Très souvent, les gens proclament la nécessité de se libérer de toutes les contraintes extérieures, mais c’est un prétexte et un masque pour justifier un genre de vie qui est très peu spirituel. Il faut être prudent ici, car la route est glissante et une chute a souvent des conséquences sérieuses.

Le problème de la réincarnation est complexe et difficile ; les doctrines courantes sont des approximations et des déformations mentales de la Vérité.

Pour la majeure partie des individus, il n’y a pas à proprement parler de réincarnation, au sens le plus matériel du mot, parce que la seule conscience qu’ils aient est tout à fait extérieure, une conscience physique née dans le temps et dans l’espace, fruit de l’hérédité et du milieu, qui, comme telle, se désintègre et se dissout après la mort. La seule manière de devenir immortel est de s’unir au principe immortel en nous : l’âme. Mais rares sont ceux qui ont même conscience de leur âme, et encore plus rares ceux qui sont conscients d’eux-mêmes comme étant l’âme ! À moins que cette identification n’ait lieu, il se produit une dissolution de la conscience physique au moment de la mort, et, plus tard, une perte des formations vitales et mentales, c’est-à-dire une rupture dans la continuité de la conscience (symbolisée par l’oubli des eaux du Léthé dont parlaient les anciens). Affirmer qu’un individu particulier s’est réincarné est donc dépourvu de sens. Tout ce que l’on peut dire, c’est que, derrière l’individu, se trouve un principe éternel et permanent que l’on peut appeler l’âme ; ce principe se manifeste partiellement à diverses époques et en divers pays, à travers diverses personnalités. Quant à la mémoire de ces manifestations – de ces vies passées –, on ne peut la recouvrer que par l’union complète et définitive de la conscience de veille avec la conscience de l’être psychique éveillé.

Quant au sommeil, il y a, comme vous le supposez, un moment du développement yoguique où la chute dans l’inconscience, qui accompagne généralement le sommeil, ne se produit plus. On laisse le corps dans un état de parfait repos (bien supérieur à celui que l’on obtient par le sommeil ordinaire), et on peut diriger la conscience vers n’importe lequel des états de l’être. Et si la conscience se centre entièrement en l’un de ces états, le corps reste dans une condition de sommeil très profond, semblable à la transe. Mais nous ne conseillons pas d’entraînement spécial pour obtenir cette capacité. Tout notre yoga est une conquête progressive de l’inconscience par la conscience, et chaque victoire dans cette direction a des résultats, comme ceux dont vous parlez. Ils viennent en leur temps et résultent du développement normal du yoga sans avoir à faire d’effort spécial pour les obtenir.

J’espère que cette lettre vous trouvera sur le bon chemin. Les bénédictions de Sri Aurobindo vous aideront à faire un nouveau pas en avant et vous rapprocheront de la Lumière.

 

Pavitra et Mère, le 12 octobre 1954

Pavitra et Mère, le 12 octobre 1954

Le 27 août 1929

Très souvent, comme vous l’avez peut-être observé, les gens qui ont longtemps vécu en Orient, et surtout s’ils ont essayé de pratiquer le yoga, témoignent d’une nature inférieure sans frein, qu’ils dorent avec des théories séduisantes et justifient par une prétendue libération des conventions et préjugés. Bien des raisons contribuent à ce résultat.

Tout d’abord, même parmi ceux qui n’ont jamais pensé à faire le yoga, l’effet des voyages lointains est de les mettre en contact avec des races et des civilisations peu connues d’eux avant et dont les coutumes, les lois sociales et les valeurs morales sont très différentes, parfois radicalement opposées à celles qui leur avaient été inculquées dans leur pays natal et qu’ils avaient adoptées inconsciemment. S’ils ont l’intelligence ouverte et sont même un peu sincères, ils s’aperçoivent que d’autres races ont édifié un ordre social qui certainement aussi bon que celui d’Occident, bien qu’il se fonde sur des principes éthiques tout différents. Par suite, ces principes perdent à leurs yeux leur caractère absolu et immuable, et il leur apparaît clairement que les coutumes et les lois sociales, laïques et religieuses sont de simples conventions qui varient suivant le temps et l’espace. En outre, ces gens se trouvent généralement en des conditions où ils n’ont guère à craindre l’opinion de leur famille, de leur voisin ni de leur classe sociale ; ils vivent isolés au milieu de gens d’un pays nouveau, ou ils vont de ville en ville en étrangers. Certains d’entre eux ont une position officielle très au-dessus de leur valeur morale et ne connaissent d’autre maître que leur aimable volonté. Très peu supportent l’épreuve avec succès ; beaucoup perdent tout sens moral et tout contrôle de leurs passions.

Pour celui qui entre sur le chemin du yoga, le danger est encore plus grand, parce qu’il doit entreprendre une bataille sans merci contre sa nature inférieure. Et les instincts animaux sont non seulement soutenus par la Nature universelle qui les utilise à ses fins, mais ils nourrissent aussi à leur tour une foule d’entités du monde vital occulte qui tirent leur subsistance de l’homme et refusent d’en être privées. La chute est très aiguë et la seule protection contre une chute est une sincérité absolue, combinée à une intense aspiration à la Vérité. Si l’aspirant abrite quelque insincérité ou faiblesse, la Nature la brise impitoyablement.

Il ne s’agit pas de refréner ni de refouler les instincts et les désirs, il faut une transmutation de ce que Sri Aurobindo appelle l’être vital dans l’homme, qui est leur base, et du mouvement qui, bien que d’origine divine, les a créés par sa perversion. Cette tâche ardue exige non seulement la conquête de soi-même mais aussi la victoire sur certaines forces universelles. Ceci explique pourquoi, dans le processus du yoga, bien des choses que l’on croyait avoir conquises, restent en fait à l’état dormant, puis se réveillent encore une fois et nous obligent à une bataille décisive avec elles afin que, transformées jusqu’à leur racine même, elles puissent servir à édifier l’homme nouveau.

Ceux qui font une chute sur ce chemin ou qui s’arrêtent en route, payent souvent chèrement leur tentative infructueuse, car la nature animale, furieuse, se venge sur eux de la contrainte qui lui avait été imposée.

Il n’y a rien de mystérieux dans ces faits, rien qui justifie l’explication de l’existence de « centres noirs » ni autres organisations de ce genre.

L’imagination moderne s’est déchaînée pour tout ce qui concerne l’occultisme et a bâti un certain nombre d’histoires fantastiques à partir de visions mal interprétées d’origine vitale. Le monde vital est complexe et infiniment varié. Il peut imiter et donner l’illusion des plans suprêmes, et aussi présenter des scènes qui ressemblent au monde physique. Un grand nombre d’êtres et d’événements qui n’ont aucune existence en dehors du plan vital, ont été pris de bonne foi, par des clairvoyants, pour des êtres et des événements du plan physique. C’est exactement ce qui est arrivé à St Yves d’Alveydre quad il a visité Agartha. Certains occultistes modernes ont fait la même erreur à propos de ce qu’ils appellent « la Grand Loge Blanche » et tout qui s’y rapporte. Les innombrables séries de vies antérieures qui ont été complaisamment publiées n’ont d’autre origine que cette vision vitale.

Votre entourage et la vie que vous menez ne sont certes pas favorables au yoga. Cependant, il vaut mieux ne pas exagérer leur influence, car même en des circonstances défavorables, on peut faire de grands progrès. En outre, il faut vous souvenir que les conditions dans lesquelles vous vous trouvez ont été créées par vous – les conditions extérieures sont l’exacte réflexion de votre état de conscience. Si vous réussissez à mettre de l’ordre dans le chaos de votre vie intérieure, vous pouvez être sûr que votre vie extérieure changera et prendra le tournant de la réalisation spirituelle à laquelle vous aspirez.

L’aspiration est le principal instrument pour façonner à neuf votre vie. Si vous réussissez à entretenir une aspiration soutenue pour le Divin afin qu’il se manifeste en vous, une aspiration intense comme une flamme intérieure à la pointe toute droite, la possibilité de quitter cette vie mécanique qui vous hante, pour une vie plus en accord avec votre aspiration, se présentera d’elle-même. Vous n’êtes jamais abandonné, jamais seul et sans aide comme votre mental voudrait vous en persuader. Une aspiration sincère reçoit inévitablement une réponse et, si votre perception intérieure était éveillée, vous trouveriez tout de suite la paix et la lumière que vous cherchez. Les bénédictions de Sri Aurobindo sont avec vous et vous soutiennent.

Vous recevrez une autre aide, plus concrète et plus tangible, avec les Entretiens de la Mère que je vous expédie aujourd’hui. Puisse votre mental trouver là le calme dont il a besoin, et votre être psychique la nourriture qui soutiendra le feu ardent de son aspiration. Le véritable but de ces Entretiens est d’éveiller en vous une impulsion dynamique à la réalisation et non de bous aider à bâtir des théories ni des spéculations mentales.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article