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Publié par pascalemmanuel

Après celle-ci, il y aura encore deux lettres de Pavitra à un chercheur d'Occident.

10 septembre 1928

Vous avez compris et senti la nécessité du calme mental, c’est le premier pas de l’établissement de la paix intérieure. Certainement, au début, les périodes où vous sentirez la Lumière descendre et vous inonder d’une joie paisible, seront brèves et intermittentes ; mais c’est ainsi que les mouvements du mental peu à peu se transforment. Votre mental a été entraîné à l’activité, et il se peut qu’il n’apprécie pas la valeur du silence intérieur, il se peut qu’il le comprenne mal et vous pousse à négliger la pratique du silence afin de poursuivre les méthodes plus intellectuelles qui lui plaisent davantage, parce qu’il y joue un rôle. Mais pendant la méditation – la vraie méditation –, le mental doit être totalement silencieux, car c’est ainsi seulement que la conscience peut recevoir la Connaissance vraie.

Quant à votre question sur la connaissance, que vous opposez à l’action, voici ce que Sri Aurobindo me charge de vous dire :

Atteindre à la Connaissance dont parlent les yogi, ce n’est pas connaître « des choses », c’est entrer au cœur de la Conscience divine où l’on possède, devient et vit la divine Vérité. En cette Conscience divine, toutes les choses sont incluses, non dans leur déformation phénoménale telles qu’elles apparaissent à vos sens et à votre intellect, mais dans leur vérité, dans leur essence et leur totalité. C’est dans la Conscience divine que vous pouvez saisir leur Être et leur Devenir.

Une fois que vous êtes dans cette Conscience, agir signifie vivre la Vérité divine. Alors, l’action n’est plus ce mouvement hésitant et tâtonnant, stérile, limité, auquel les hommes sont poussés par des motifs mentaux et vitaux, égoïstes ou altruistes, ou simplement par habitude, par instinct d’imitation ; elle devient l’expression extérieure pure, directe, puissante, parfaite en soi de la vie intérieure. C’est cette sorte d’action que les anciens sages chinois décrivaient comme « agir sans motif d’action ».

Votre question à propos de la valeur relative de l’action et de la connaissance disparaît d’elle-même, et de même tous les pseudo-problèmes, paradoxes et antinomies que le mental se délecte à dresser dans l’espoir de saisir la Vérité. Toujours, le mental procède par division et distinction ; il s’empare d’un aspect de la Vérité et il le fait entrer de force dans un cadre fixe et rigide ; alors, il proclame sa satisfaction d’avoir saisi toute la vérité et rejette avec vigueur et mépris tous les autres aspects, sauf le sien, refusant même le moindre élargissement de son propre point de vue.

Par conséquent, n’oubliez pas que le mental n’est pas un instrument de connaissance, c’est « le grand destructeur du réel ».

L’expérience mystique de tous les vrais yogi affirme le fait que le silence mental est une condition indispensable à la connaissance supérieure. Prenez Patanjali1, par exemple, qui ouvre son traité de yoga en disant : « le yoga est la suppression des fluctuations du principe pensant (chitta). Quand ceci est fait, le voyant demeure en son propre moi. » Dès lors, la Vérité peut être découverte parce que tout ce qui obstrue d’ordinaire la connaissance intuitive de la Nature est écarté, dissipé et ne s’oppose plus à l’accès à la Vérité.

1. Patanjali (deuxième siècle avant J.C.) est notamment l’auteur des Yogasûtra qui forment la base du Râjayoga.

Vous trouverez les mêmes affirmations dans les Upanishad, la gîta, les Tantra, et même dans les autres enseignements en dehors de l’Inde.

C’est cette confusion du mental en face des multiples aspects de la Réalité qui a donné naissance à toutes ces querelles entre les diverses écoles philosophiques, comme l’opposition que vous signalez entre la conception du Dwaïta et celle de l’Adwaïta2. Vous avez sans doute lu les passages de Sri Aurobindo relatifs à ce sujet.

2. Dualisme et Monisme

L’unique conscience n’est nullement obligée de rester dans un état d’unité indifférenciée. L’Un peut également devenir le Multiple, sans pour autant cesser d’être l’Un. L’opposition entre les deux est crée par le mental ; diverses écoles de philosophie se sont saisies de ces deux aspects et les ont dressés l’un contre l’autre comme si l’un était la seule vérité à l’exclusion de l’autre. Quand on entre dans la conscience supérieure, toutes ces contradictions disparaissent.

Sri Aurobindo donne la même explication pour vos difficultés à propos de la Personnalité divine et de l’Impersonnel (le Dieu personnel des chrétiens et l’impensable Impersonnel de Shankara). C’est sans doute là que le mental trouve la plus grande difficulté à réconcilier les points de vue apparemment contradictoires qu’il peut avoir de l’Essence divine.

Sri Aurobindo n’accepte ni le point de vue de Shankara, ni celui des adversaires de Shankara. L’Impersonnalité divine et la Personnalité divine sont toutes deux également vraies ; ce sont deux aspects de la même Réalité. Dès que vous vous élevez au-dessus de la conscience mentale, la séparation disparaît.

De même, il n’y a aucune contradiction entre l’amour divin et la connaissance. Ces différents mouvements coexistent dans la Conscience divine, qui est éternellement Sat-Chit-Ânanda3. C’est seulement quand, ainsi déformés, ils entrent dans la conscience humaine faite de fragments, divisée contre elle-même, qu’ils ont l’air d’être distincts et séparés.

3. Existence-Conscience-Félicité.

Dans la Conscience divine, l’Amour et la Connaissance sont un, de même que l’Action et la Connaissance sont un. Le fond de l’affaire est de vivre la Vérité divine. Chaque mouvement de la Conscience divine est simultanément Connaissance, Pouvoir actif et Félicité (Ânanda). J’ajouterai que les mouvements de la Conscience suprême auxquels nous donnons d’habitude les noms de Connaissance, Action ou Amour, n’ont rien à voir, ou bien peu, avec les mouvements humains ordinaires correspondants.

Avec les mystiques catholiques, le problème s’est compliqué, parce que leurs expériences vraies ont souvent été faussées sous la pression dogmatique de l’Église qui, en tant que corps constitué et du point de vue doctrinal, a toujours été l’ennemie de la vraie spiritualité. Malgré cela, certains de ces mystiques ont eu des réalisations spirituelles authentiques et de grandes illuminations de la Vérité.

Quand ils disaient que la connaissance était un obstacle à l’Union divine, ils visaient la connaissance ordinaire, sensorielle et intellectuelle. Par exemple, ce passage bien connu de l’Aéropagite est très explicite : « Je conseille, dans l’exercice sérieux de la contemplation mystique, que tu quittes les sens et les opérations de l’intellect, ainsi que toutes choses que les sens ou l’intellect peuvent percevoir, et toutes choses en ce monde de néant ou ce monde d’être, et que, ton entendement étant en repos, tu t’élèves (aussi loin que tu le peux) vers l’union avec Lui que ni l’être ni l’entendement ne peuvent contenir. »

Mais quand l’entendement est réduit au silence et la connaissance naturelle effacée, une autre Connaissance, la Connaissance de la Réalité divine, vient à naître, et cette Connaissance n’est d’aucune façon opposée à l’amour. Gerson ne définit-il pas la théologie mystique comme une « connaissance expérimentale de Dieu dans l’embrassement de l’amour unitif » ?

Suivant les mystiques catholiques, toutes les opérations des facultés naturelles (imagination, entendement, volonté) cessent dans les états supérieurs de l’union. Mais ceci ne signifie pas une chute dans l’Inconscience ; au contraire, les mystiques n’ont jamais cessé de d’affirmer qu’ils avaient découvert de grands secrets dans leur extase est reçu une merveilleuse connaissance – ces secrets de cette connaissance étant bien entendu incommunicables et impossibles à exprimer en mots.

Mais affirmer, comme la plupart des mystiques du passé, que l’union avec le Divin est incompatible avec toutes les formes d’activités du mental, de la vie et du corps, ce n’est pas vrai. Ce n’est vrai qu’en ce qui concerne les mouvements de la nature ordinaire, mais une fois que la transformation divine de la nature est accomplie, ceci n’est plus valable.

Se concentrer sur les chakra4 ne va pas sans dangers. Tous les exercices tantriques exigent un mode de vie spécial (très différent de celui que l’on peut avoir dans une grande ville d’Europe) et surtout la direction personnelle et la surveillance d’un guide qualifié. En aucun cas, on ne doit courir de risque par curiosité. La méditation qui se révélerait la plus fructueuse pour vous, serait d’aspirer au Divin afin qu’il puisse purifier et transformer en vous tout ce qui s’oppose à l’Union divine. Surtout, vous devriez rechercher le calme mental et demander la paix intérieure – une paix qui n’est pas un vide mais une plénitude lumineuse et béatifique. Servez-vous aussi peu que possible de méthodes artificielles ; que votre méditation soit guidée par la perception intérieure plutôt que par les indications arbitraires imposées par le mental.

Puisque la pratique du Hathayoga et celle du Tantra sont dangereuses et à déconseiller sans un guide, et puisqu’il se peut que vous ne puissiez pas vous passer d’une certaine occupation mentale, le mieux, pour vous, serait d’étudier avec fruit l’aspect philosophique des Tantra. Les Tantra sont arrivés à une synthèse beaucoup plus large et plus complète que les systèmes de philosophie pure. Et surtout, pour les Européens qui ont toujours tendance à rester dans le domaine de l’intellect, ils apportent des éléments qui enrichissent remarquablement la vie intérieure. Comme vous le savez, les ouvrages d’Arthur Avalon ont rendu les Tantra accessibles au public européen. Toutefois, non seulement Avalon ne touche pas le sens le plus profond de cet enseignement mais, dans certaines de ses œuvres, il en fait une présentation confuse et sans méthode. Malgré tout, c’est le mieux qu’un Européen puisse trouver ;  je vous recommande en particulier son livre, The Principles of Tantras. 

J’espère que vous trouverez en vous l’aspiration sincère et forte qui vous soutiendra dans votre recherche et vous fera traverser toutes les difficultés.

Sri Aurobindo vous envoie ses bénédictions.

4. Les « centres de conscience », qui font l’objet tout particulier de la discipline tantrique.

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