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La Vie Divine de Sri Aurobindo

Suite du chapitre 14 du Livre 2

sur le mensonge, l'erreur et le mal.

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Page 667

 

Mais comment cette intention évolutive de la Nature doit-elle s’accomplir, par quel pouvoir, quel moyen, quelle impulsion, par quel principe et quelle méthode de sélection et d’harmonisation ?

La méthode adoptée par le mental de l’homme au fil des âges a toujours été un principe de sélection et de rejet, qui a pris les formes d’une sanction religieuse, ou d’une règle de vie morale ou sociale, ou bien d’un idéal éthique.

Mais c’est là un moyen empirique qui ne touche pas la racine du problème, parce qu’il ne voit pas la cause et l’origine de la maladie qu’il cherche à guérir. Il s’occupe des symptômes, mais superficiellement, sans connaître leur rôle dans le dessein de la Nature ni ce qui, dans le mental et la vie, les soutient et préserve leur existence.

En outre, le bien et le mal humains sont relatifs, et les normes établies par l’éthique sont aussi incertaines que relatives. Ce qui est interdit par une religion ou une autre, ce qui est tenu pour bien ou mal par l’opinion publique, ce qui a été jugé utile ou nuisible à la société, ce que telle loi temporaire des hommes permet ou interdit, ce qui est ou ce que l’on considère bienfaisant ou nocif, pour soi ou pour autrui, ce qui s’accorde avec tel ou tel idéal, ce que suggère ou décourage un instinct que nous nommons conscience — l’amalgame de tous ces points de vue est l’idée hétérogène et déterminante, et constitue la substance complexe, de la moralité.

En tous, il y a un mélange constant de vérité, de demi-vérité et d’erreur qui accompagne toutes les activités de notre Connaissance- Ignorance mentale limitée.

Exercer un contrôle mental sur nos désirs et nos instincts vitaux et physiques, sur notre action personnelle et sociale, sur nos rapports avec les autres, nous est indispensable à nous, êtres humains, et la moralité crée une norme qui nous sert de guide et nous permet d’établir un contrôle conforme à l’usage ; mais ce contrôle est toujours imparfait et c’est un expédient, non une solution.

L’homme demeure ce qu’il est et ce qu’il a toujours été, un mélange de bien et de mal, de péché et de vertu, un ego mental gouvernant imparfaitement sa nature mentale, vitale et physique.

Codiaeum variegatum var. variegatum | Plants of the World Online | Kew  Science

Pouvoir de rejeter les suggestions adverses

L’effort pour choisir, pour préserver tout ce qui, dans notre conscience et notre action, nous semble bon et rejeter tout ce qui nous paraît mauvais, et pour re-former ainsi notre être, nous recréer et nous modeler à l’image d’un idéal, est un mobile éthique plus profond, car il touche de plus près au vrai problème : il repose sur l’idée légitime que notre vie est un devenir et qu’il existe quelque chose qu’il nous faut devenir et être.

Mais les idéaux construits par le mental humain sont sélectifs et relatifs ; façonner rigidement notre nature selon ces idéaux, c’est nous limiter et faire une construction là où il devrait y avoir une croissance vers un être plus vaste. L’appel véritable, c’est l’appel de l’Infini et du Suprême.

L’affirmation et la négation de nous-mêmes que nous impose la Nature sont toutes deux des mouvements dirigés vers cela, et ce que nous devons découvrir, c’est le juste chemin de l’affirmation et de la négation de soi réunies, au lieu de la voie fausse, parce qu’ignorante, de l’ego, et du conflit entre le oui et le non de la Nature.

Si nous ne le découvrons pas, ou bien la poussée de la vie sera trop forte pour notre idéal étroit de perfection, ses instruments se briseront et il ne pourra se réaliser et se perpétuer ; ou bien nous obtiendrons tout au plus un demi-résultat ; ou encore, la tendance à fuir la vie se présentera comme l’unique remède, le seul moyen d’échapper à l’emprise, autrement invincible, de l’Ignorance.

Telle est en fait la voie qu’indique ordinairement la religion : une morale prescrite par le divin, une poursuite de la piété, de l’équité et de la vertu comme le stipule un code de conduite religieux, une loi de Dieu déterminée par quelque inspiration humaine. Tels sont les moyens qui nous sont proposés, la direction à suivre pour marcher sur le chemin qui mène à l’issue, à la solution.

Mais cette issue ne change rien au problème ; ce n’est qu’une voie par laquelle l’être personnel peut échapper à l’énigme irrésolue de l’existence cosmique.

Dans l’Inde ancienne, la pensée spirituelle avait une perception plus claire de la difficulté. On tenait la pratique de la vérité, de la vertu, de la volonté juste et de l’action juste pour nécessaire afin d’accéder à la réalisation spirituelle, mais dans la réalisation elle-même, l’être s’élève en la conscience plus grande de l’Infini et Éternel et se débarrasse du fardeau du péché et de la vertu, qui appartient à la relativité et à l’Ignorance.

Derrière cette perception plus vaste et plus vraie, il y a l’intuition qu’un bien relatif est un entraînement que la Nature universelle nous impose afin que nous puissions ainsi nous diriger vers le vrai Bien, qui est absolu.

Ces problèmes relèvent du mental et de la vie ignorante, ils ne nous suivent pas au-delà du mental. De même que dans une Conscience-de-Vérité infinie cesse la dualité de la vérité et de l’erreur, de même y a-t-il une libération hors de la dualité du bien et du mal dans un Bien infini, dans une transcendance.

Étapes vers le Suprême

Étapes vers le Suprême

On ne peut échapper artificiellement à ce problème qui a toujours préoccupé l’humanité et auquel elle n’a trouvé aucune solution satisfaisante.

L’arbre de la connaissance du bien et du mal, avec ses fruits doux et amers, est secrètement enraciné dans la nature même de l’Inconscience d’où notre être a émergé et sur laquelle il se tient encore comme sur le sol, l’assise inférieure de notre existence physique ; il a grandi visiblement à la surface, dans les multiples ramifications de l’Ignorance qui demeure la masse principale, la condition première de notre conscience en sa difficile évolution vers une conscience suprême et un éveil intégral.

Tant qu’existera ce sol où plongent les racines encore cachées, tant qu’existera cet air nourricier et ce climat d’Ignorance, l’arbre grandira et prospérera et produira sa double floraison et ses fruits mélangés.

Cela laisserait supposer qu’il ne pourra y avoir de solution définitive tant que nous n’aurons pas changé notre inconscience en la conscience supérieure, fait de la vérité du moi et de l’esprit la base de notre vie et transformé notre ignorance en une plus haute connaissance.

Tous les autres moyens ne seront qu’un pis-aller ou des impasses ; une transformation complète et radicale de notre nature est la seule solution véritable.

C’est parce que l’Inconscience impose son obscurité originelle à notre perception de nous-mêmes et des choses et que l’Ignorance la fonde sur une conscience imparfaite et divisée, et parce que nous vivons dans cette obscurité et cette division, qu’une connaissance et une volonté fausses sont possibles ; sans connaissance fausse, il ne pourrait y avoir d’erreur ni de fausseté, et sans erreur ou sans fausseté dans nos éléments dynamiques, il ne pourrait y avoir de volonté fausse dans les parties de notre être ; sans volonté fausse, enfin, il ne pourrait y avoir d’action mauvaise ni de mal.

Tant que dureront ces causes, les effets aussi persisteront dans nos actes et notre nature.

Un contrôle mental ne peut jamais être qu’un contrôle, pas une guérison ; un enseignement mental, une règle et une norme mentales ne peuvent qu’imposer un sillon artificiel dans lequel notre action tourne mécaniquement ou avec difficulté et qui réprime et limite la forme que suit le développement de notre nature.

Un changement de conscience total, un changement de nature radical, est le seul remède et la seule issue.

L'obscurité s'offre pour être transformée

L'obscurité s'offre pour être transformée

Mais puisque la racine de la difficulté se trouve dans une double existence, limitée et séparatrice, ce changement doit consister en une intégration, une guérison de la conscience divisée de notre être, et cette division étant complexe et multiple, aucun changement partiel d’un seul aspect de l’être ne saurait se substituer de façon satisfaisante à la transformation intégrale.

La première division est celle que crée notre ego et surtout, avec le plus de force et d’acuité, notre ego vital qui nous sépare de tous les autres êtres, les traitant comme « non-moi », et nous lie à notre égocentrisme et à la loi d’une affirmation de soi égoïste.

C’est dans les erreurs de cette affirmation de soi que la fausseté et le mal émergent tout d’abord : la conscience fausse engendre la volonté fausse dans les parties de l’être, dans le mental pensant, dans le cœur, le mental vital et l’être sensoriel, et jusque dans la conscience du corps ; la volonté fausse engendre l’action fausse de tous ces instruments, une erreur multiple, une foisonnante perversion de la pensée, de la volonté, des sens et des sentiments.

Et nous ne pouvons établir des rapports justes avec les autres tant qu’ils sont pour nous des « autres », des êtres qui nous sont étrangers et dont nous ne connaissons guère ou pas du tout la conscience intérieure, les besoins de l’âme, du mental, du cœur, de la vie et du corps.

Le peu de sympathie, de connaissance et de bonne volonté imparfaites qu’engendrent la loi, le besoin et l’habitude de l’association, est trop insuffisant pour satisfaire les exigences d’une action véritable.

Un mental et un cœur plus vastes, une force de vie plus ample et plus généreuse peuvent contribuer à nous aider ou à aider autrui et à éviter les pires offenses, mais cela aussi est insuffisant et n’empêche pas nombre de perturbations, de maux et de collisions de notre bien privilégié avec le bien d’autrui.

Notre ego et notre ignorance sont ainsi faits que nous nous affirmons égoïstement lors même que nous nous targuons le plus de notre absence d’égoïsme, et, dans notre ignorance, même quand nous sommes le plus fiers de notre compréhension et de notre connaissance.

Pris comme règle de vie, l’altruisme ne nous délivre pas ; c’est un puissant instrument pour s’élargir et corriger l’ego plus étroit, mais il n’abolit ni ne transforme cet ego en le moi véritable, un avec tous. L’ego de l’altruiste est aussi puissant et absorbant que l’ego de l’égoïste, et il est souvent plus fort et plus persistant parce que c’est un ego satisfait de soi et magnifié.

Et causer du tort à notre âme, à notre mental, à notre vie ou à notre corps avec l’idée de soumettre notre moi à celui d’autrui, nous aide encore moins. Le vrai principe est d’affirmer notre être de la façon juste afin qu’il puisse devenir un avec tous, non de le mutiler ou de l’immoler.

Il peut être parfois nécessaire — exceptionnellement — de s’immoler pour une cause, en réponse à quelque exigence du cœur ou pour quelque juste et haut dessein, mais on ne peut en faire la règle ou la nature de la vie.

Cette exagération ne ferait que nourrir et enfler l’ego des autres ou magnifier quelque ego collectif, et ne nous conduirait pas, nous ou l’humanité, à la découverte et à l’affirmation de notre être vrai, ou du sien.

Le sacrifice et le don de soi sont assurément un principe vrai et une nécessité spirituelle, car nous ne pouvons affirmer notre être de la façon juste sans sacrifice ou sans nous donner à quelque chose de plus vaste que notre ego ; mais cela aussi doit être fait avec une conscience et une volonté justes, fondées sur une connaissance vraie.

Le mieux que nous puissions faire dans les limites de la formation mentale, consiste à développer la partie sâttvique de notre nature, une nature de lumière, de compréhension, d’équilibre, d’harmonie, de sympathie, de bonne volonté, de bonté, d’amour du prochain, de maîtrise de soi, d’action correctement ordonnée et harmonisée ; mais c’est une étape, et non le but de la croissance de notre être.

Ce sont des expédients, des palliatifs, les moyens nécessaires pour traiter partiellement cette difficulté fondamentale, des normes provisoires et des procédés qui nous servent temporairement de guide et de soutien, parce que la solution véritable et complète dépasse notre capacité actuelle et ne pourra venir que lorsque nous aurons suffisamment évolué pour la voir et en faire l’objet principal de notre quête.

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