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Publié par pascalemmanuel

Dans cet Agenda du 14 septembre 1966, Mère commente les aphorismes 122 à 125 de Sri Aurobindo et c'est tout à fait savoureux :

 

122 – Si tu ne veux pas être le jouet des opinions, vois d'abord en quoi ta pensée est vraie, puis étudie en quoi son contraire est vrai ; enfin découvre la cause de ces différences et la clef de l'harmonie de Dieu.

 

123 – Une opinion n'est ni vraie ni fausse, elle est seulement utile dans la vie ou inutile...

 

(Mère rit beaucoup)

 

... car c'est une création du Temps, et avec le temps elle perd son efficacité et sa valeur. Élève-toi au-dessus des opinions et cherche la sagesse impérissable.

 

124 – Sers-toi des opinions dans la vie, mais ne les laisse pas enchaîner ton âme dans leurs fers.

 

125 – Toute loi, si compréhensive ou tyrannique soit-elle, se heurte quelque part à une loi contraire qui fait échec à son action, la modifie, l'annule ou la déjoue.

 

(après un silence)

 

J'étais en train d'essayer de trouver en quoi les opinions sont utiles... Sri Aurobindo dit qu'elles sont «utiles ou inutiles» – en quoi une opinion peut-elle être utile ?

 

Satprem : Elles aident momentanément dans l'action.

 

Non, c'est justement cela que je déplore ; les gens agissent d'après leur opinion, et ça n'a aucune valeur.

 

C'est peut-être tout ce qu'ils ont à leur disposition !

 

(Riant) Alors on peut dire que c'est un pis-aller.

 

Tout le temps, je reçois des lettres de gens qui veulent ou ne veulent pas faire quelque chose et qui me disent : «C'est mon opinion : ceci est vrai, cela ne l'est pas...» Et toujours, plus de quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, c'est faux, c'est une sottise.

 

On a l'impression très claire – enfin, c'est visible – que l'opinion opposée a autant de valeur, que c'est simplement une question d'attitude, c'est tout. Et naturellement, il s'y mêle toujours les préférences de l'ego : on aime mieux que ce soit comme cela, alors on a l'opinion que c'est comme cela.

 

Mais tant que l'on n'a pas la lumière supérieure pour agir, on a besoin de se servir des opinions.

 

Il vaudrait mieux avoir une sagesse qu'une opinion ; c'est-à-dire, justement, considérer toutes les possibilités, tous les aspects de la question, et alors essayer d'être aussi peu égoïste que possible et voir, par exemple, pour une action, celle qui peut être utile au plus grand nombre de gens ou qui démolit le moins de choses, qui est la plus constructrice. Enfin, même en se plaçant à un point de vue qui n'est pas spirituel, qui est seulement utilitaire et non-égoïste, il vaut mieux agir selon la sagesse que selon son opinion.

 

Oui, mais quelle serait la bonne façon de procéder quand on n'a pas la lumière, sans y mêler son opinion ou son ego ?

 

Je crois que c'est de considérer tous les aspects du problème, de les mettre d'une façon aussi désintéressée que possible devant sa conscience et de voir ce qui est le meilleur (si c'est possible) ou ce qui est le moins mauvais si cela a des conséquences fâcheuses.

 

Je voulais dire : quelle est la meilleure attitude ? Est-ce une attitude d'intervention ou une attitude de laisser-faire? Quel est le meilleur ?... On se demande.

 

Ah! justement, pour intervenir il faut être sûr que l'on a raison ; il faut être sûr que votre vision des choses est supérieure, préférable ou plus vraie que celle des autres ou de l'autre. Ça, il est toujours plus sage de ne pas intervenir – les gens interviennent sans rime ni raison, simplement parce qu'ils ont l'habitude de donner leur opinion aux autres.

 

Même lorsqu'on a la vision de la vraie chose, il est rarement sage d'intervenir. Cela ne devient indispensable que si quelqu'un veut faire quelque chose qui, nécessairement, se terminera par une catastrophe. Et même là (souriant), l'intervention n'est pas toujours très efficace.

 

Au fond, il n'est légitime d'intervenir que lorsqu'on est absolument sûr d'avoir la vision de vérité. Non seulement cela, mais aussi la vision claire des conséquences.

 

Pour intervenir dans les actions d'un autre, il faut être un prophète – un prophète. Et un prophète avec une bienveillance et une compassion totales. Il faut même avoir la vision de la conséquence qu'aura l'intervention dans la destinée de l'autre. Les gens sont tout le temps à se donner des conseils : «Fais ceci, ne fais pas cela»; je vois, ils n'imaginent pas à quel point ils créent une confusion, ils augmentent la confusion, le désordre. Et quelquefois ils nuisent au développement normal de l'individu.

 

Je considère que les opinions sont des choses toujours dangereuses, et la plupart du temps absolument sans valeur.

 

On ne devrait se mêler des affaires d'autrui que, d'abord, si l'on est infiniment plus sage que l'autre (naturellement, on se croit toujours plus sage!), mais je veux dire d'une façon objective et non selon sa propre opinion : si l'on voit plus, mieux, et si l'on est soi-même en dehors des passions, des désirs, des réactions aveugles.

Il faut être soi-même au-dessus de toutes ces choses pour avoir le droit d'intervenir dans la vie d'un autre – même quand ils vous le demandent.

Et quand ils ne vous le demandent pas, c'est simplement se mêler de ce qui ne vous regarde pas.

 

L'Agenda du 15 novembre 1967 est très intéressant de bout en bout, je vous invite à le lire en intégralité, car il résume en quelque page, la nature même du processus de transformation et du problème que nous avons à résoudre. Mais notre sujet concerne est les prophéties, et à ce titre, la première information de cet Agenda est que le corps de Mère a été crée non pour dire mais pour faire :

 

Mais naturellement, si cet instrument-là (Mère) était fait pour constater, expliquer, décrire, il pourrait dire des merveilles, mais voilà... Je pense... je ne sais pas, mais ça a l'air d'être la première fois que l'instrument, au lieu d'être fait pour apporter la «Nouvelle», la «Révélation», donner l'éclair, a été fait pour... essayer de réaliser : faire le travail, la besogne obscure.

 

Il existe de nombreuses paroles sur les prophètes de la fin des temps, on dit qu'il naîtra 100 000 Bouddhas. Dans le passage suivant, c'est peut-être à ces paroles que Mère fait allusion, mais manifestement, pour elle, cela ne résout pas le problème...

 

Y a-t-il quelque part sur la terre un être vraiment divin, c'est-à-dire qu'aucune loi de l'Inconscience ne régit ?... Il me semble qu'on le saurait. Si cela existait et que je ne le savais pas, il faudrait que je me dise que je dois avoir quelque part une bien grande insincérité pour que cela puisse être comme cela. À dire vrai, je ne me pose pas la question. Dans tous ceux-là, tous ceux qui sont connus, tous ceux qui ont pris position comme les «révélateurs du monde nouveau» ou comme les «réalisateurs de la vie nouvelle», tous ceux-là ont un pourcentage d'inconscient encore beaucoup plus grand que le mien, alors...

 

Mais ça, c'est tout ce qui se sait publiquement: y a-t-il un être quelque part et que personne ne le sache ?... Cela m'étonnerait qu'il n'y ait pas de communication. Je ne sais pas. N'est-ce pas, il y a beaucoup-beaucoup, il y a toute une floraison de nouveaux Christ, de Kalki (1), de surhommes, ouh! il y en a beaucoup, mais généralement, d'une façon quelconque, on entre en communication, on connaît en tout cas leur existence; eh bien, ceux-là, tous ceux avec lesquels j'ai été en rapport ou invisible ou visible, il n'y en a pas un seul qui ait... (comment dire?) moins d'inconscient qu'il n'y en a dans ce corps – mais je reconnais qu'il y en a beaucoup, oh !

 

(1), Le dernier Avatar, suivant la tradition hindoue.

 

Et puis, Mère revient sur le vrai travail, un travail très obscur en donnant un exemple magnifique de l'effet de l'aspiration des cellules, je vous invite vraiment à le découvrir, et puis, revenons à notre sujet avec ce passage :

 

ll y a un ou deux jours, je ne sais pas, il y a eu comme une vision d'ensemble de cet effort de la terre vers sa divinisation et c'était comme si quelqu'un disait (ce n'est pas «quelqu'un» : c'est la conscience-témoin, la conscience qui constate, mais ça se formule en mots – très souvent, ça se formule en anglais et j'ai comme l'impression que c'est Sri Aurobindo, la conscience active de Sri Aurobindo, mais quelquefois ça se traduit en mots seulement dans ma conscience), et ces jours-ci, c'était quelque chose qui disait : «Oui, le temps des proclamations, le temps des révélations, est passé – maintenant, à l'action.»

 

Au fond, les proclamations, les révélations, les prophéties, tout cela, c'est très confortable, ça donne l'impression de quelque chose de «concret» ; maintenant c'est très obscur, le sentiment que c'est très obscur, invisible (ce ne sera visible que dans les résultats longtemps-longtemps en avant), pas compris.

 

Avant de conclure : 

 

Et je vois bien, je vois tellement le petit travail comme cela (geste de renversement) qu'il faudrait pour que ça devienne une révélation prophétique ! Un petit travail, un petit renversement dans le mental – l'expérience est tout à fait en dehors du mental, et alors ce qu'on en dit... (Mère hoche la tête). Justement, comme ce n'est pas mental, c'est à peu près incompréhensible, et pour que tout cela (oh ! c'est visible), pour que tout cela devienne accessible, il faudrait juste (même geste) un petit renversement dans le mental, et cela devient prophétique. Et ça... ce n'est pas possible. Ça perdrait sa vérité.

 

Et puis cet Agenda très intéressant qui nous explique pourquoi il ne faut pas prophétiser.

 

J'ai refusé d'être un prophète. Cette Conscience qui est là (geste au-dessus) a l'impression que pour être prophète, il faut... coaguler les choses. C'est leur donner une sorte de fixité ou de dureté (comment expliquer cela ?), oui, c'est une fixité qu'elles n'ont pas. Les choses sont vues (elles sont vues tout le temps, constamment), mais il faut un temps (ce qui, pour nous, se traduit par le «temps») entre la vision et l'exécution (Mère dessine une trajectoire descendante), et si l'on est dans la vraie conscience et la vraie vision, ce qui était là comme cela (geste flottant au-dessus), peut être changé.

 

N'est-ce pas, toute la création est dans un mouvement d'une rapidité si formidable que c'est imperceptible pour la conscience physique, mais entre le moment où les choses sont vues (geste là-haut) et le moment où elles s'expriment matériellement, il y a un changement. Et si l'on est très soigneux – très soigneux et très (comment dire?) objectif –, il y a le temps d'une transformation.

 

Et c'est cette habitude de fixer qui empêche la rapidité de la transformation du monde. Et alors, prophétiser, est une façon de fixer et... la conscience se refuse à le faire, elle veut laisser toute la souplesse aux choses pour qu'elles puissent à chaque moment changer.

 

Malheureusement ici, sur la terre, tout devient comme cela (Mère serre ses deux poings), coagulé, et c'est ça le mensonge de la création. Mais il ne faut pas l'aider !

 

Autrement, quand il y a des problèmes à résoudre, je les vois : ils viennent, ils restent, ils s'obstinent jusqu'à ce que la solution soit trouvée. Et ça, c'est vraiment intéressant. Pour tout-toutes les choses. C'est-à-dire que l'on pourrait le traduire d'une façon très ordinaire : tous les gens qui pensent à moi ou qui comptent sur moi («moi», tu comprends ce que je veux dire, moi, ce n'est pas ça : Mère désigne son corps) et qui attendent la solution de leur problème, tout cela me vient constamment, nuit et jour, nuit et jour, avec la solution.

 

Mais ce n'est pas mental, et par conséquent ce n'est pas fixe ; c'est une chose souple qui est tout le temps changeante ; et alors si l'on prophétise, on fixe un moment – et on gâche tout. Tandis que si on laisse... Et tout le temps, les gens veulent que l'on prophétise, qu'on leur dise : «Ce sera comme ça.» Je m'y refuse obstinément ! Il faut garder la vraie attitude et laisser les choses – laisser aux choses leur fluidité ascendante.

 

Et dans L'Agenda du 9 juillet 1966, Mère avait même dit quelque chose de beaucoup plus fort : 

 

On pourrait, si l'on voulait, prophétiser en disant ce qui est vu. Mais il y a une sorte de super-compassion qui empêche cette prophétie, parce que la Parole de Vérité a un pouvoir de manifestation et que d'exprimer le résultat de la résistance, concrétiserait cet état et diminuerait l'action de la Grâce. Et c'est pourquoi, même quand on voit, on ne peut pas dire, on ne DOIT PAS dire.

 

Autres Agendas : 

 

Certains prophètes du passé ont eu cette vision apocalyptique, mais comme d’habitude les choses ont été mélangées, et ils n’ont pas eu, en même temps que leur vision de l’apocalypse, la vision du monde supramental qui viendra soulever la partie consentante de l’humanité et transformer ce monde physique.  (Agenda sans date de juin 1958)

 

Tiens, par exemple, combien de gens, même les plus sérieux, aiment qu'on leur dise l'avenir : on lit dans la main, on lit dans l'écriture (je suis accablée de gens qui me demandent des choses comme cela), mais enfin même en dehors de toute idée spirituelle, cette espèce d'intérêt qu'ils ont à ce qu'on leur dise : «Voilà, votre ligne de vie va durer jusque là...» Les gens aiment ça! ils aiment, ils aiment rester dans leur incertitude. Ils aiment leur ignorance. Ils aiment cet inconnu – cet inconnu «plein de mystères». Ils aiment le prophète qui vient leur dire : «Tu feras ça... Il t'arrivera ça...» Ça paraît si enfantin ! C'est le même goût que le goût du théâtre, c'est la même chose (pas l'auteur qui a écrit la pièce, mais le spectateur qui la voit sans savoir comment elle va finir), ou le même goût que pour lire des romans – le goût de «l'inconnu». Et alors c'est tout près du goût du merveilleux.

 

Beaucoup de chemin à faire encore pour entrer dans la Connaissance – dans la conscience où l'on sait tranquillement, et où tout est si simple, si naturel, si évident. Et c'est ce revêtement qui donne les complications : ça se complique tout d'un coup dans l'atmosphère humaine. (Agenda du 16 octobre 1963) 

 

Et puis, dans L'Agenda du 17 juillet 1971, le travail de transformation est déjà très avancé et nous sommes face à un autre mode de connaissance.  Non plus les connaissances et les visions du mental et des états supérieurs de conscience mais celle du corps lui-même. 10 ans auparavant déjà, le 6 juin 1961, Mère lançait ce pavé dans la mare, qu'en définitive, seul le corps peut savoir. L'évolution, c'est dans le corps que cela se passe nous dit Satprem. C'est parce que le corps de Satprem était si intimement lié au corps de la terre, si universalisé, qu'il a pure dire e tant de paroles si puissamment vraies. 

 

C’est curieux. Tu sais, une chose que je t’avais déjà dite, c’est que maintenant, le corps – la conscience du corps – sait d’avance ce qui va arriver, elle sait d’avance ce que les gens vont lui dire. Mais elle ne sait pas... (comment dire ?) exactement comme cela arrive matériellement, mais l’esprit dans lequel c’est fait... constamment. C’est tout à fait curieux. Je suis là immobile, essayant de n’appartenir qu’au Divin, et alors il vient des choses – ça vient comme cela (geste comme sur un écran devant Mère), ça passe comme cela: des choses, des faits, des gens qui parlent...

 

Et alors, d’abord je croyais que c’était ma conscience matérielle qui ne savait pas se taire, et puis je me suis aperçue que ça me venait du dehors et que ça se réalisait sur le plan matériel. Ce qui fait que, maintenant, si je mentalisais ces choses, je pourrais prévoir, dire ce qui va se passer, ce qui va arriver...

 

Cette histoire de l’Amérique et de la Chine, et toutes sortes de choses comme cela sont venues de cette façon. Seulement, dans l’humanité ordinaire, c’est le mental qui en profite pour faire des prophéties – mais heureusement, le mental, il n’y en a pas, il est tranquille, il est absent. Seulement, quand on me dit les choses, qu’on me les annonce, plus rien n’étonne ce corps, il semble savoir. C’est curieux.

 

Une sorte d’universalisation.

 

Et si tu savais à quel point il sent son imbécillité – les deux en même temps !

 

Voilà les amis ce que j'ai pu trouver sur le sujet. Alors, il n'y a pas si longtemps, je me suis intéressé aux prophéties, mais avec ces passages que je vieux de partager, la leçon de chose principale selon moi, est que prophétiser FIXE quelque chose et qu'il ne faut pas faire ça. En outre, je me demande si la descente supramentale du 29 février 1956 n'a pas complètement changé la donne. N'y aurait-t-il pas, dans l'immensité de l'avenir, plusieurs lignes de temps, plusieurs possibles...et au final, la dernière parole de Sri Aurobindo d'Aperçus et Pensées, est peut-être la seule qui tienne la route :

 

Les changements que nous voyons dans le monde aujourd’hui sont intellectuels, moraux, physiques dans leur idéal et leur intention. La révolution spirituelle attend son heure et, pendant ce temps, fait surgir ses vagues ici et là. Jusqu’à ce qu’elle vienne, le sens des autres changements ne peut pas être compris ; et jusqu’à ce moment-là, toutes les interprétations des événements présents et toutes les prévisions de l’avenir humain sont choses vaines. Car la nature de cette révolution, sa puissance et son issue sont ce qui déterminera le prochain cycle de notre humanité.

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