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Publié par pascalemmanuel

Comme l’on dit, il faut appeler un chat un chat et un chien un chien, et l’instinct humain l’instinct humain, et ne pas parler de choses divines quand elles sont purement humaines. Voilà. Et ne pas prétendre avoir des expériences supramentales quand on vit dans une conscience tout à fait ordinaire. (Agenda du 25 août 1954)

*

Puisque la conscience supramentale est la clef du nouveau monde, de la nouvelle création, autant poser quelques points de repères qui peuvent nous aider à la reconnaître, par une base, deux signes et trois conditions.

1) Une base : de l'immobilité vibrante à la densité

Sur ce point, il s'agit d'une interprétation, d'une hypothèse personnelle, c'est donc sous réserve. Pourtant, lorsque Mère parle des ses expériences supramentales, j'ai remarqué qu'il y avait souvent la présence d'une immobilité vibrante. Il semblerait que quand tout se calme, tout se pose, alors la vibration supramentale peut se manifester. À moins que cela ne soit l'inverse : quand la vibration supramentale, toute la conscience s'immobilise. Et dans cette immobilité, peut-être une sorte de super stabilité, quelque chose qui pèse deux tonnes, façon de parler, et ne bouge pas, Mère parle souvent d'une sorte de mouvement sans déplacement d'une rapidité foudroyante.

Les domaines des pensées, des émotions, des énergies sont très fluides et pour nous, seule la matière a ce caractère de densité. Or, aussi étrange que cela puisse nous paraître, il semblerait que la conscience supramentale soit plus dense encore que le monde matériel que nous connaissons :  plus dur que du diamant et plus fluide qu'un gaz nous a dit Sri Aurobindo. La conscience supramentale n'a rien d'éthéré et il me semble que si nous faisons l'expérience de cette densité-là, il est possible que nous la reconnaissions.

Lorsque l'immobilité se prolonge, s'approfondit, peut-être se transforme-t-elle en cette densité. En tout cas, pour prendre les choses par l'autre bout, dans un autre Agenda, Mère nous dit que la caractéristique de la vibration du mensonge, dans la conscience cellulaire, c'est une trépidation, donc tout le contraire de cette fameuse l'immobilité.

Ci-dessous, un large extrait de L'Agenda du 18 octobre 1969, formidable par toutes les clefs de compréhension qu'il donne, et à la fin, par ce qu'il laisse entrevoir de l'amour de Satprem et de la tendresse de Mère...

Satprem : Il n'a pas abdiqué, mon mental ?

Oui. Abdiquer et se taire.

J'ai l'impression qu'il y a un chaînon manquant entre «quelque chose» que je sens très bien là-haut, qui est concret, et puis cette réalité que je vis.

Ça, c'est très matériel.

Mais j'ai l'impression de quelque chose qui manque, d'un chaînon, quelque chose…

Pas un «chaînon»...

Ce serait plutôt une passivité qui manque. Tout est trop actif.

Et pour que la Force puisse passer rapidement pour atteindre le corps, il faut une grande passivité. Je vois cela : chaque fois qu'il y a une pression pour agir sur une partie du corps ou une autre, ça commence toujours par une absolue passivité qui est... la «perfection de l'inertie», tu comprends ? Ce que l'inertie représente comme imparfait, c'est la perfection de cela... Quelque chose qui n'a aucune activité propre – c'est justement très difficile pour ceux qui ont un grand développement mental, c'est très difficile. Parce que tout le corps a travaillé toute sa vie à être justement dans cet état de réceptivité au mental, qui faisait son obéissance, sa docilité, etc., et c'est cela qu'il faut abolir.

Comment expliquer ?... Le développement par le mental est un éveil constant et général de tout l'être – même le plus matériel –, un éveil qui fait qu'il y a aussi quelque chose qui est l'opposé du sommeil. Et pour la réception de la Force suprême, il faut, au contraire, l'équivalent de l'immobilité – l'immobilité d'un sommeil mais absolument conscient, absolument conscient. Le corps sent la différence. Il sent la différence au point que... par exemple, je m'étends le soir et je suis comme cela, et pendant des heures je reste comme cela, et si au bout d'un moment, je tombe dans le sommeil ordinaire, mon corps se réveille avec une angoisse épouvantable ! Et alors, il recommence à se mettre dans cet État. Ça, cette angoisse-là, je la sens de temps en temps – ça s'en va immédiatement dès qu'il se remet dans la vraie attitude, qui est un état d'immobilité mais absolument conscient. «Immobilité», je ne sais pas comment dire cela... Mais c'est presque l'opposé de l'inertie dans l'immobilité.

Et c'est cela qui, maintenant, me fait comprendre pourquoi la création a commencé par l'inertie. Et alors, il fallait retrouver cet État-là (Mère dessine une courbe immense), après avoir passé par tous les états de conscience. Et c'est cela qui nous a donnés... (riant) pour nous, c'est un joli gâchis! Mais quand on le fait exprès, ce n'est plus un gâchis.

La difficulté pour moi, que je rencontre très souvent, c'est un besoin, aussi, d'activité dans l'aspiration. J'ai l'impression que je ne dois pas cesser d'être activement aspirant Souvent, je pourrais très bien tout laisser comme cela, sans bouger, mais...

Oui, mais alors l’aspiration vient.

J'éprouve le besoin de l'activité de l'aspiration.

Oui, c'est pour contrecarrer l'inertie. C'est parce que nous avons encore un héritage d'inertie.

Mais alors, dans ce cas, qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut tout laisser s'étaler ou bien... persister dans cette aspiration active, qui est vraiment intense ?

C'est difficile à dire parce que je suis convaincue que chacun a son chemin, mais pour ce corps-là, le chemin est d'avoir cette aspiration active.

D'avoir l'aspiration active ? Oui, mais alors ce n'est plus cette immobilité.

Il y est arrivé, il a compris le moyen, comment faire.

Les deux ensemble, l'union des deux?

Oui, ils sont ensemble. C'est cela qu'il est arrivé à avoir : une immobilité complète et une intense aspiration. Et c'est quand l'immobilité reste sans l'aspiration, qu'il tombe dans une angoisse épouvantable qui le réveille immédiatement. C'est cela, n'est-ce pas : une intense aspiration. Et il est absolument immobile, immobile dedans, c'est comme si toutes les cellules devenaient immobiles... Ce doit être cela ; ce que nous appelons l'intense aspiration, ce doit être la vibration supramentale. Ce doit être la Vibration divine, la vraie vibration divine. Ça, je me le suis dit souvent.

Mais si, même pendant cinq minutes, le corps tombe dans l'état d'inertie – d'immobilité sans aspiration –, il est éveillé par une angoisse comme s'il allait mourir ! Tu comprends, c'est à ce point-là. Et pour lui, l'immobilité, c'est... Oui, il a l'impression que la vibration la plus haute, la vibration de la vraie Conscience, est TELLEMENT INTENSE qu'elle est... elle est l'équivalent de l'inertie de l'immobilité – d'une intensité qui n'est pas perceptible (pour nous). Cette intensité est tellement grande que, pour nous, c'est l'équivalent de l'inertie. C'est cela qui est en train de s'établir.

C'est cela qui lui a fait comprendre (parce que maintenant le corps comprend), qui lui a fait comprendre le processus de la création... On pourrait presque dire que ça a commencé par un état de perfection, mais inconsciente, et qu'elle doit passer de cet état de perfection inconsciente à un état de perfection consciente, et entre les deux c'est l'imperfection.

Les mots sont idiots, mais tu comprends.

(silence)

Tu sais, l'impression, c'est d'être juste sur le seuil de la compréhension. Et ce n'est pas une compréhension mentale du tout, du tout (celle-là, on l'a eue, mais ce n'est rien ; c'est rien, c'est zéro). C'est une compréhension VÉCUE. Et ça, le mental ne peut pas l'avoir – peut pas. Et on a l'impression que seul le corps – réceptif, ouvert, en tout cas partiellement transformé –, est capable d'avoir la compréhension; la compréhension de la création, de ce que nous appelons la création : pourquoi et comment, les deux choses. Et ce n'est pas du tout une chose pensée, ce n'est pas une chose sentie : c'est une chose vécue, et c'est la seule manière de savoir... C'est vécu. C'est une conscience.

Tu sais, quand cette compréhension vient – ça vient et puis ça fait comme cela (geste comme un gonflement lumineux), ça vient comme cela, et puis ça s'estompe, et puis ça revient et puis ça s'estompe ; mais au moment où ça vient, c'est tellement évident, c'est tellement simple qu'on se demande comment on a pu ne pas le savoir !

Il faut encore du temps... Combien de temps? Je ne sais pas. Mais la notion de temps aussi est très arbitraire.

Nous voulons toujours traduire toutes nos expériences dans le vieil état de conscience, et c'est ça la misère ! Nous pensons que c'est nécessaire, que c'est indispensable – et c'est abrutissant. Ça retarde terriblement.

(silence)

Et tout-tout-tout ce que les hommes ont dit, tout ce qu'ils ont écrit, tout ce qu'ils ont enseigné, c'est seulement une manière de dire. C'est seulement essayer de se faire comprendre, mais c'est impossible. Et quand on pense (riant) combien on s'est battu pour des choses si relatives !...

(long silence)

En regardant la suite des journées et ce qui arrive, l'expérience du corps est comme cela...

D'une certaine manière, à certains moments, il est dans la conscience d'Immortalité, et puis, par influence (et encore par vieille habitude de temps en temps), il retombe dans la conscience de mortalité, et ça c'est vraiment... Pour lui maintenant, dès qu'il retombe dans la conscience de mortalité, c'est une angoisse épouvantable ; et c'est seulement quand il sort de là, quand il rentre dans la vraie conscience, que ça passe. Et je comprends pourquoi il y avait des gens, des yogis, qui parlaient de l'irréalité du monde, parce que, pour la conscience d'Immortalité, la conscience de mortalité est une absurdité irréelle.

Et c'est comme cela (Mère passe les doigts d'une main entre les doigts de l'autre main, indiquant un va-et-vient entre les deux consciences). Alors, tantôt c'est comme cela, tantôt c'est comme cela.

Et l'autre état, l'état d'Immortalité, est immuablement paisible, tranquille, avec... comme des ondes d'une rapidité foudroyante, tellement rapides qu'elles semblent immobiles. Et c'est comme cela : rien ne bouge (en apparence) dans un Mouvement formidable.

Et alors, dès que l'autre état vient, ce sont toutes les notions ordinaires qui reviennent, c'est-à-dire... vraiment, maintenant, dans l'état où il est, ça lui donne l'angoisse et la souffrance d'un mensonge.

Mais c'est encore comme cela (même geste de va-et-vient)...

Pour en sortir, la seule, la seule façon qui soit efficace, c'est justement l'abandon, le surrender. Ce n'est pas exprimé par des mots ni par des idées ni rien, mais c'est un état, un état de vibration, où il n'y a que la Vibration Divine qui ait de la valeur. Alors – alors les choses se remettent en ordre.

Mais tout cela, dès qu'on en parle...

Mais note que c'est constant : ça arrive la nuit, ça arrive le matin (les matins généralement sont très difficiles), et puis il y a d'autres fois où... (geste immense, uni, avec un sourire) il n'y a plus de problèmes – tous les problèmes sont finis –, plus de problèmes, plus de difficultés, plus rien.

(silence)

Il y a un arrière-fond (c'est ça surtout), un arrière-fond de Négation inconsciente qui est derrière tout-tout-tout, encore ; il y en a encore partout : on mange, on respire – on reçoit cette Négation...

Pour que tout soit transformé, c'est encore un travail colossal. Mais quand on est ce que l'on pourrait appeler de «l'autre côté» (ce ne sont pas des «côtés»), mais dans l'autre état, ça paraît si naturel, si simple que l'on se demande pourquoi ce n'est pas comme cela, pourquoi ça paraît si difficile ? Et puis, dès qu'on est de l'autre côté, c'est (Mère prend sa tête entre ses mains)... Le mélange est encore là, c'est incontestable.

Vraiment, l'état ordinaire, le vieil état, c'est consciemment (c'est-à-dire que c'est une perception consciente), c'est la mort et la souffrance. Et puis dans l'autre état, la mort et la souffrance paraissent des choses absolument... irréelles – voilà.

Il semble que ce corps soit très-très conscient de... (comment dire ?) une sorte de stupidité. Oui, une sorte de bonne volonté endurante et stupide. Il est très conscient de cela. Et il est amené à comprendre que cet état était indispensable pour que le travail puisse se faire, que quelqu'un qui serait... (naturellement, la moindre mauvaise volonté est hors de question), mais s'il n'y avait pas cette espèce de (ce n'est pas de l'inconscience), cette sorte de simplicité ignorante (c'est quelque chose comme cela), sans cela, l'endurance deviendrait très difficile.

Il ne pose pas de questions, mais de temps en temps, il est conscient de son état de médiocrité, et alors tout naturellement, il se demande comment il se fait qu'il ait été choisi pour faire ce travail?  Et il paraît clairement que c'est une sorte de bonne volonté qui provient du sens de sa nullité... Le moindre sens de capacité, de valeur, ça enlève toute l'endurance. Alors, il n'a pas cela du tout, et ça lui permet de continuer.

(…)

Tiens (Mère donne une fleur de transformation) : la bonne. Toi aussi...

(le disciple pose son front sur les genoux de Mère)

Pas d'impatience.

Une patience confiante.

Au fond, tout est pour chacun aussi bien que cela peut être. Tout le temps, ce sont les vieux mouvements qui s'impatientent... C'est-à-dire que quand on voit le tout, certainement l'impatience a été créée pour contrecarrer l'inertie – mais c'est fini, ce temps-là est passé.

Millingtonia hortensis – Chêne-liège indien – Transformation – Le but de la création.


 

Il y a . . . différents états de transformation. Il y a d'abord la transformation psychique, dans laquelle tout est en contact avec le Divin à travers la conscience psychique individuelle. Ensuite il y a la transformation spirituelle dans laquelle tout est plongé dans le Divin dans la conscience cosmique. En troisième lieu, il y a la transformation supramentale dans laquelle tout devient supramentalisé dans la divine conscience gnostique. Ce n'est qu'avec cette dernière transformation que peut commencer la transformation complète du mental, de la vie et du corps - dans le sens que j'attache au mot "complète". (Sri Aurobindo – Lettres sur le yoga)

2) Deux signes : égalité parfaite et sentiment d'absolu dans la connaissance

Sur ce point, il ne s'agit plus d'hypothèses personnelles mais d'une réponse de Mère publiée dans L'Agenda du 25 février 1961.

Il y a un Américain qui habite Madras, qui est un monsieur assez important, paraît-il, et très grand ami, très intime ami de Kennedy, le nouveau Président ; il a lu et relu tous les livres de Sri Aurobindo et il est extrêmement intéressé, et il a écrit à Kennedy qu’il voulait qu’il vienne ici, pour l’amener à l’Ashram. Et alors cet homme a posé une question très intéressante.

Il a fait une analogie et dit ceci : dans la forêt, un cerf passe pour aller boire, et personne n’en sait rien. Mais celui qui a fait des études spéciales de vénerie, à la trace saura voir que le cerf est passé. Et non seulement il saura quel genre de cerf, mais son âge, sa taille, son sexe, etc.

De même, il doit y avoir des gens qui ont une connaissance spirituelle analogue à celle des veneurs et qui peuvent détecter, s’apercevoir qu’un homme est en rapport avec le Supramental alors que les gens ordinaires n’en savent rien et ne s’en apercevront pas. Alors, a-t-il demandé, je voudrais savoir à quels signes le reconnaîtraient-ils ? C’est une question très intelligente.

J’ai répondu en anglais, très court. Je n’ai pas apporté ma réponse, mais je peux te dire tout de suite qu’il y a deux signes : deux signes certains, infaillibles. Je le sais par mon expérience personnelle parce que ce sont deux choses qui ne viennent qu’avec la conscience supramentale : sans elle on ne peut pas avoir cela – tous les efforts yoguiques, toutes les disciplines, toutes les tapasyas ne peuvent pas vous donner cela, tandis que ça vient presque automatiquement avec la conscience supramentale.

Le premier signe, c’est l’égalité parfaite comme Sri Aurobindo l’a décrite (tu le sais, il y a tout un chapitre sur l’égalité, samatâ, dans La Synthèse des Yoga), exactement comme il le décrit, c’est merveilleux, merveilleux de précision ! Mais cette égalité-là (qui n’est pas une «égalité d’âme», n’est-ce pas) est une espèce d’état particulier où on est en relation avec toutes choses, extérieures et intérieures, de la même manière et pour chacune de la même manière. Ça, c’est vraiment une égalité parfaite : les vibrations qui viennent des choses, des gens, des contacts, n’ont pas le pouvoir de changer cet état.

Je l’ai mis en premier dans ma réponse. Je ne lui ai pas donné toutes ces explications, je l’ai mis en quelques mots, justement comme une sorte de test de son intelligence, d’une façon un peu cryptique, pour voir s’il comprendrait.

Le deuxième signe, c’est un sentiment d’absolu dans la connaissance. Ça, je te l’ai déjà dit, je l’ai eu avec mon expérience (du 24 janvier). Et ça, c’est un état qu’on ne peut pas, avec n’importe quelle région du mental, même le mental le plus illuminé, le plus élevé, ça ne peut pas s’avoir. C’est une... ce n’est pas une certitude : c’est (Mère abat ses mains comme un bloc irrésistible qui descend d’un seul coup) une sorte d’absolu – sans, sans possibilité (il n’est pas question de doute), mais même d’hésitation ou de quoi que ce soit.

Et sans (comment dire ?)...

Toute la connaissance mentale, même la plus haute, est une connaissance «conclusive», si je puis dire : elle vient comme une conclusion de quelque chose, par exemple d’une intuition (une intuition vous donne une connaissance, et cette connaissance est comme la conclusion de l’intuition); même quand ce sont des choses que l’on reçoit comme des révélations, ce sont toujours des conclusions. Tout ça, ce sont des conclusions – c’est le mot «conclusion» qui me vient, je ne sais pas comment dire.

Mais avec l’expérience supramentale, ce n’est pas cela : c’est une sorte d’absolu. Et puis le sentiment de ça est tout à fait exceptionnel : c’est très au-dessus d’une certitude, c’est... (Mère refait le même geste irrésistible) c’est un FAIT, n’est-ce pas, les choses sont des FAITS. C’est très-très difficile à expliquer. Mais quand on a ça, alors... naturellement avec ça, on a un pouvoir complet – les deux choses vont ensemble, toujours (mais dans ma réponse à cet homme je n’ai pas parlé de «pouvoir» parce que le pouvoir est presque une conséquence, et je ne voulais pas parler des conséquences).

Mais le fait, c’est cela : une sorte d’absolu dans la connaissance, qui vient naturellement de l’identité. On EST la chose qu’on sait, qu’on connaît. On l’est. On la connaît parce qu’on l’est.

Quand ces deux signes sont là (il faut les deux : l’un n’est pas complet sans l’autre), quand on a les deux, alors on peut être sûr que quelqu’un a été en contact avec le Supramental – mais rien de moins que cela. Alors les gens qui vous racontent avoir reçu la Lumière !... (n’est-ce pas – riant – ils en ont plein la bouche). Mais avec ces deux signes, on est sûr de sa perception. (1)

(silence)

Et il est tout à fait évident qu’avec ces deux choses-là, vraiment on... c’est ce que Sri Aurobindo dit : you step in another world [on passe dans un autre monde], vous sortez de tout cet hémisphère et vous entrez dans un autre.

On a ce sentiment.

Le jour où ce sera installé, ce sera bien.

(silence)

Et ce n’est pas le résultat ni d’une aspiration ni d’une recherche, ni d’un effort ni d’une tapasya, rien du tout : ça vient, plan ! (même geste irrésistible). Et quand ça s’en va, il reste comme... comme une empreinte dans le sable – dans la conscience. La conscience est comme une couche de sable : ça a laissé une empreinte. Si on remue trop, l’empreinte s’en va ; si on reste bien tranquille, elle... Mais c’est seulement une empreinte.

Et ça ne s’imite pas. Ce qui est merveilleux, c’est qu’on ne peut pas l’imiter ! Tout le reste, par exemple toutes les réalisations ascétiques, on peut les imiter, mais ça on ne peut pas l’imiter, c’est... il n’y a pas d’équivalence, nulle part.

C’est comme mon expérience de cette nuit-là (24 janvier), l’impression que j’avais était extraordinaire : l’individualité, même dans sa conscience la plus haute, même ce qu’ils appellent l’Atman (2) et l’âme, ça n’avait rien à voir là-dedans : ça vient comme ça (même geste), avec un absolu. aucune participation individuelle: c’est une décision qui vient du Suprême.

Eh bien, tout le reste, c’est la même chose : toute votre aspiration, toute votre tapasya, tous vos efforts, tout ce qui est individuel : absolument aucun effet – ça vient, c’est là.

Et vous ne pouvez faire qu’une chose, c’est de vous annuler autant que possible. Si vous arrivez à vous annuler tout à fait, alors l’expérience est totale. Et si on pouvait garder cette disparition d’une façon constante, alors l’expérience resterait là constante – mais ça, c’est encore loin... Je ne sais pas si toute cette... (Mère regarde son corps).

(silence)

Évidemment, le corps avait besoin d’un test (je ne veux pas dire «épreuve» au sens où on l’entend en français), un test très sévère parce que... C’est la seule explication que je peux donner à tous ces désordres au point de vue personnel. Au point de vue général, il y a beaucoup d’explications, mais ça... Enfin le jour où on me le dira, je le saurai, parce que toutes les imaginations ne servent à rien.

Mais au point de vue personnel... Tu comprends, ce corps, il y a longtemps (il y a plus d’un an, probablement presque deux ans) qu’il ne sent plus ses limites (3). Ce n’est plus du tout comme c’est d’habitude : ce n’est plus guère qu’une concentration, une espèce d’agglomération de quelque chose ; ce n’est pas un corps dans une peau – pas du tout. C’est une sorte d’agglomération, de concentration de vibrations.

Et même ce qu’on a l’habitude d’appeler une «maladie» (mais ce n’est pas une maladie, ce ne sont pas des maladies : ce sont des désordres de fonctionnement), même ces désordres de fonctionnement n’ont pas, pour ce corps, le même sens qu’ils ont, par exemple, pour les docteurs ou pour les gens ordinaires – ce n’est pas comme cela, il ne sent pas ça comme cela. Il sent ça comme... comme une sorte de difficulté d’ajustement à un besoin vibratoire nouveau.

(silence)

Avant, quand il ne pouvait pas faire son travail, il avait une sorte d’impatience, c’est-à-dire qu’il avait cette espèce de sentiment de son aspiration et de sa bonne volonté d’être l’instrument qui convient, et que ces choses-là barraient le chemin – même cela, c’est tout à fait parti.

Et il a une sorte de sourire extraordinaire, pour tout. Quand, à la fin de la journée, avec toute l’accumulation de tout ce qui est venu de tous les gens que j’ai vus et de tout le travail que j’ai fait, quand il faut que je me tire et que je me pousse pour pouvoir monter les marches parce que les jambes sont devenues comme des... des bouts de fer sans, sans volonté (c’est cela qui est le plus terrible : ça ne répond pas ; ça ne répond pas à la volonté), même à ce moment-là, quand ce sont mes bras qui me montent (ce ne sont plus mes jambes), il ne proteste pas – proteste pas. Et il se met à marcher là-haut tout de suite pour le japa. Et au bout d’une demi-heure de marche, ça va infiniment mieux. (Mère fait un geste montrant la Force qui descend dans son corps)

(silence)

Mais pour lui, il ne sait pas pourquoi c’est arrivé, il ne sait pas... Et au fond, il trouve que ce n’est pas nécessaire d’essayer de le savoir : c’est comme ça parce que c’est comme ça. Et si on lui demande, il dit: «Bien, quand ça devra être autrement, ce sera autrement.»

Ça, c’est exactement sa position.

(silence)

Il est évident que c’était nécessaire. On verra.

(silence)

Et n’est-ce pas, dans ma conscience, il y a tout cet ensemble [le monde, l’Ashram] et il y a cette sorte de compassion essentielle qui s’applique à toutes les choses, toutes les difficultés, tous les obstacles ; et quand les gens viennent à moi (je reçois les lettres par douzaines, tu le sais, et les gens viennent chacun avec une petite misère ou une petite difficulté, soit intérieure soit extérieure – ils ont un petit bobo et ça devient... une montagne), mais la conscience intérieure répond toujours de la même façon, avec cette sorte de... justement d’égalité, de compassion qui s’applique à tout.

Mais quand les gens me parlent ou que je lis une lettre et que mon corps devient conscient de ce qu’il appelle tous les «embarras» qu’ils font à propos de leurs misères, il a une sorte de sentiment (je veux dire qu’il y a un sentiment dans les cellules) : «Mais pourquoi prennent-ils les choses comme ça ! Ils rendent les choses beaucoup plus difficiles.» – Il comprend. Il comprend que cette façon si aveugle et si égoïste et si self-centered [égocentrique] de prendre la moindre difficulté augmente ses difficultés furieusement!

C’est assez amusant, c’est une espèce de sensation (sensation et sentiment à la fois) que l’attitude humaine ordinaire vis-à-vis des choses multiplie et grossit les difficultés dans des proportions fan-tas-tiques ! que s’ils avaient seulement la vraie attitude – une attitude normale, n’est-ce pas, un peu simple, une attitude sans complication – , ouf ! toute la vie serait plus facile.

Parce que le corps sent les vibrations (ces vibrations qui justement se concentrent pour faire un corps), il sent leur nature et voit comment une réaction, que lui appelle normale, une réaction paisible et confiante, comme cela rend les choses plus faciles ! Tandis que dès qu’il y a cette agitation de l’anxiété, de la peur, du mécontentement, la réaction de la volonté qui ne «veut pas de ça» et toutes sortes de... oh ! tout de suite, c’est comme si on faisait bouillir de l’eau ! Ça fait pff! pff! pff! comme ça, comme les machines. Tandis que si on prend la difficulté avec confiance et simplicité, ça la réduit à son minimum – je veux dire purement matériellement, dans la vibration matérielle.

Presque (je dis presque, parce qu’il n’a pas eu toutes les expériences) mais presque toutes les douleurs peuvent être réduites à quelque chose d’absolument négligeable (naturellement, il y en a qu’il n’a pas eues, mais il en a eu une quantité suffisante), parce que c’est cette anxiété de cette vibration semi-mentale (c’est le commencement du mental) qui fait que... qui complique tout! complique tout.

Par exemple, cette difficulté que je t’ai dite, de monter les marches : dans la conscience du docteur ou de n’importe qui, c’est à cause de la douleur ; c’est la douleur (pour eux, selon leur raisonnement) qui crispe les nerfs et le muscle et qui fait qu’on ne peut pas marcher – mais c’est absolument FAUX ! La douleur n’empêche pas mon corps de faire n’importe quoi. Ce n’est pas un facteur ; c’est un facteur avec lequel il a le moyen de... deal with [s’arranger] facilement. Ce n’est pas cela. C’est la Matière, la matière (probablement la matière cellulaire ou...) qui perd la capacité de répondre à la volonté, à la force de la volonté.

Mais pourquoi ? – Ça, je n’en sais rien. Cela dépend de la désorganisation. Pourquoi est-ce comme cela? Sais pas... Et alors, je suis en train, maintenant, chaque fois que je monte, je suis en train de chercher le moyen d’infuser la Volonté de telle façon que cette absence de réponse ne pourra pas durer – mais je n’ai pas encore trouvé. Et pourtant il y a, n’est-ce pas, toute cette accumulation (une accumulation formidable! ) de force, de pouvoir, de volonté – je suis BAIGNÉE là-dedans, le corps, tout ça, ça baigne dedans ! – et pourtant quelque chose fait que ça ne répond pas : un ensemble de cellules ici ou un ensemble de cellules là qui ne répond pas ; ça ne peut pas agir. Alors ce qu’il faut trouver, c’est...

(silence)

Et encore là, en ce moment et dans ce que je dis, il y a ce sens de la tapasya (4) ; il y a toute la conscience intérieure qui fait faire la tapasya au corps. Mais ma connaissance et ma certitude (ce que JE SAIS), c’est que c’est peut-être une préparation nécessaire mais ce n’est PAS ÇA qui fait le travail (5) : c’est quelque chose qui fait comme ça (Mère retourne brusquement son poignet comme pour montrer un renversement d’état). Alors quand ça fait «comme ça», c’est fini, tout est fait – tout est fait.

Est-ce que ces désordres sont nécessaires pour qu’on arrive à ce que ce soit «comme ça» ? – J’ai mes doutes. J’ai mes doutes. Mais ça ne peut pas s’exprimer, parce que si on l’exprimait ce serait en bordure d’un fatalisme qui n’a aucune vérité en soi – ce n’est pas un fatalisme, pas un fatalisme du tout. Qu’est-ce que c’est ?... Quelque chose que l’on ne peut pas dire.

(silence)

N’est-ce pas, même le corps, le corps lui-même sent cette perception constante comme de... de baigner dans la Présence divine concrète, avec sa vibration ; alors, au point de vue psychologique, bien entendu, il n’y a pas la moindre ombre au tableau. Même au point de vue matériel, c’est là. Et bien que ce soit là, senti, perçu, éprouvé, ce désordre reste! (J’appelle ça désordre.)

(long silence)

C’est un grand Mystère... oh!...

(silence)

Tout est un grand Mystère.

(silence)

Ce que Sri Aurobindo appelle «le Grand Secret» – un grand secret.

Le jour où on aura trouvé ça... les choses changeront.

(silence)

Et comme on voit! comme on sait que même l’intelligence la plus haute, la plus lumineuse, ne peut rien comprendre, rien – c’est idiot d’essayer.

(silence)

Tiens, cela me fait toujours l’effet de... Toutes nos aspirations, toutes nos recherches, toutes nos ascensions, ça me fait l’effet de cette fleur que je t’ai donnée l’autre jour (6) : c’est quelque chose qui est comme ça (Mère fait un geste vague et éthéré), qui vibre-vibre-vibre-vibre, très lumineux, très délicat, essentiellement très joli... (silence) mais ce n’est pas ça (Mère fait encore ce geste du poignet montrant un renversement brusque). C’est pas ça.

(silence)

C’est la nature même qui change, c’est... autre chose. Et c’est toujours, quand ça vient (en quelque domaine que ce soit), ce sentiment d’absolu – absolu. Ça porte tout en soi, c’est...

(silence)

Absolu n’est même pas assez fort (Mère fait un geste comme d’un bloc solide qui descend). C’est pour cela que l’on dit un absolu irrévocable, irrémédiable... Je ne sais pas comment dire. Et rien que cet Absolu existe, il n’y a pas autre chose. Il n’y a que ça.

Et tout est là.

Quand ça, ça vient, c’est bien.

(silence)

Voilà, mon petit, j’ai bavardé tout le temps et nous n’avons encore rien fait, encore un jour de plus sans travail (Mère rit) !

C’est une chose curieuse... Évidemment, quand je parle, ça m’aide à suivre l’expérience. Et je ne peux pas me mettre à parler toute seule là-haut ! Et puis une machine ne sert à rien. Il est certain que, jusqu’à présent, c’est avec toi que ça vient le mieux, beaucoup. Je n’ai pas essayé avec d’autres, j’ai dit quelquefois quelque chose à Nolini, mais la réceptivité est floue (je ne sais pas si tu comprends cette impression : j’ai l’impression que ça entre dans du coton).

Et j’ai parlé une fois avec R, je te l’ai dit, et là alors j’ai eu l’impression que les trois quarts étaient absolument perdus. Et c’est un fait. Mais quand c’est avec toi, je commence à voir, n’est-ce pas, et la nécessité de formuler me concentre sur la vision. Et ça, je l’ai avec toi plus que je ne l’ai jamais eu avec personne. Alors...

Alors tu en subis les conséquences !

Voilà, besoin de rien ?... Rien ?... Petit, quand je prends mon déjeuner et qu’on me donne quelque chose de très bon, j’ai toujours envie de te le donner !...


1Voici le texte exact de la réponse de Mère à cet Américain: Deux signes irréfutables prouvent que l’on est en relation avec le Supramental :

1 – Une égalité parfaite et constante.

2 – Une certitude absolue dans la connaissance.

Pour être parfaite, l’égalité doit être invariable et spontanée, sans effort, à l’égard de toutes les circonstances et tous les événements, tous les contacts matériels ou psychologiques, quels que soient leur caractère et le choc qu’ils donnent.

La certitude absolue et indiscutable d’une connaissance infaillible par identité.

Et Mère a ajouté le commentaire suivant à propos du «choc» des circonstances, événements etc.: «Il n’y a plus cette espèce d’opposition entre ce qui est un choc agréable et ce qui est un choc désagréable. Il n’y a plus de choses «agréables» et de choses «désagréables» : ce sont simplement des vibrations que l’on enregistre. D’habitude, quand les gens reçoivent un choc, ils font comme cela (geste de recul), puis ils réfléchissent, ils se concentrent, et alors ils retrouvent leur paix. Mais ce n’est pas cela du tout ! Ce n’est pas cela du tout : il faut que l’état soit spontané, constant, invariable.»

 

2.  Atman : le Moi ou Esprit.

 

3. Peu à peu, Mère entre en transe et toute la fin de cette conversation se passera en état de transe.

 

4. Tapasya: discipline, effort yoguique, ascèse.

 

5. C’est-à-dire que ce n’est pas par l’effort ou la tapasya que le véritable changement s’opère.

6. Barringtonia asiatica (action supramentale).

Barringtonia asiatica – Bonnet carré – Action supramentale – Une action qui n'est pas exclusive mais totale.

 

Le supramental, par définition, est la Conscience-de-Vérité, la Vérité en possession d'elle-même et s'accomplissant elle-même par son propre pouvoir.

Sri Aurobindo – Lettres sur le Yoga


*

Par essence, le Supramental est une conscience-de-vérité, une conscience à jamais libre de l'Ignorance qui forme la base de notre existence naturelle ou évolutive présente à partir de laquelle la nature en nous s'efforce de parvenir à la connaissance de soi et à la connaissance du monde, à la conscience vraie et à l'utilisation vraie de notre existence en cet univers. Parce que le Supramental est une conscience-de-vérité, cette connaissance est innée en lui et ce pouvoir d'existence vraie est spontané : sa marche est droite, il peut aller directement à son but, son champ est large et peut même devenir illimité. Car sa nature même est la connaissance ; il n'a pas besoin d'acquérir la connaissance : il la possède de plein droit.

Sri Aurobindo – La Manifestation supramentale

3) Trois conditions : égalité, élargissement, plasticité

Après avoir envisagé l'hypothèse de l'immobilité comme une base nécessaire,après avoir vu les deux signes infaillibles selon Mère qui attestent de l'expérience supramentale, terminons avec les trois conditions données par Mère pour que la conscience supramentale puisse s'installer.

 

Agenda du 12 janvier 1962

(À propos de la dernière question du disciple sur l'expérience du «bateau supramental»:)


Petit, tu as reçu mon mot ? Il y a un endroit où j'ai parlé un peu de ça : tu te souviens de ce monsieur de Madras qui avait posé une question ? (1)... Là, il y avait une indication.

Parce que j'ai suivi le fil, je me suis remise en contact avec l'expérience – l'expérience du bateau supramental – et je me suis aperçue que ça avait eu une action DÉCISIVE dans la position ; cette expérience avait établi d'une façon absolument claire, précise, définitive, les conditions requises. À ce point de vue, c'était intéressant.

Une fois pour toutes, ça a balayé toutes les notions non seulement de la moralité ordinaire mais tout ce que l'on considère ici, dans l'Inde, comme nécessaire à la vie spirituelle. À ce point de vue, c'était très instructif. Et d'abord, cette espèce de soi-disant pureté ascétique. La pureté ascétique, c'est tout simplement le rejet de tous les mouvements du vital – au lieu de prendre ces mouvements et de les tourner vers le Divin, c'est-à-dire de voir en eux la Présence suprême (et justement de laisser le Suprême y agir librement), on Lui dit (riant) : « Non, ça ne Te regarde pas ! Tu n'as pas le droit d'entrer là-dedans.

Le physique, c'est une vieille affaire, on le sait – depuis toujours les ascètes l'ont rejeté; mais on y ajoutait le vital. Et tous ici sont comme cela, même... (maintenant peut-être que X change un peu, mais au début il était comme cela aussi). Il n'y avait que les choses classiquement reconnues comme sacrées ou admises par la tradition religieuse, comme par exemple la sainteté du mariage et les choses de ce genre, que l'on acceptait, mais la vie libre, holà ! c'était incompatible avec toute vie religieuse.

Alors tout ça a été complètement balayé, une fois pour toutes.

Ce n'est pas pour dire que ce qui est demandé est plus facile ! C'est probablement beaucoup plus difficile.

(1). Un ami américain du président Kennedy, qui avait fait une analogie entre le dépistage du cerf dans la forêt et le dépistage du Supramental: «Comment détecter le Supramental comme le veneur détecte le cerf dans la forêt ? À quels signes le reconnaître?» Voir Agenda du 25 février 1961, tome II, p. 105 sqq

* * *

D'abord, au point de vue psychologique, il faut la condition dont j'ai parlé dans ma réponse à cet homme (histoire du cerf) : c'est l'égalité parfaite. Ça, c'est une condition AB-SO-LUE. J'ai observé depuis ce moment-là, pendant des années, qu'aucune vibration supramentale ne se transmet, excepté dans cette égalité parfaite. S'il y a la moindre contradiction de cette égalité (en fait, le moindre mouvement d'ego, de la préférence de l'ego), ça ne passe pas, ça ne se transmet pas. Ce qui fait déjà une assez grosse difficulté.

En plus de cela, il y a deux conditions qui, pour que la réalisation puisse être totale, ne sont pas faciles. Parce que ce sont des choses qui ne sont pas très difficiles au point de vue intellectuel (je ne parle pas ici de n'importe qui : je parle de ceux qui ont fait un yoga et qui ont suivi une discipline), c'est relativement facile ; au point de vue psychologique aussi, si on y associe cette égalité, ce n'est pas très difficile. Mais dès qu'on arrive au plan matériel, c'est-à-dire physique, puis corporel, ce n'est pas facile.

Les deux conditions sont celles-ci : d'abord, un pouvoir d'expansion, d'élargissement pour ainsi dire indéfini, de sorte que l'on puisse s'élargir à la dimension de la conscience supramentale, qui est totale.

La conscience supramentale, c'est celle du Suprême dans sa totalité – « sa totalité », je veux dire le Suprême dans son aspect de Manifestation. Naturellement, au point de vue supérieur de l'essence (l'essence de ce qui devient le Supramental dans la Manifestation), il faut une capacité d'identification totale avec le Suprême non seulement sous son aspect de Manifestation mais sous son aspect statique ou nirvanique, en dehors de la Manifestation: le Non-être. Mais en plus de cela, il faut être capable de s'identifier au Suprême dans le Devenir.

Et ça, ça implique ces deux choses : un élargissement au moins indéfini, qui doit être en même temps une plasticité totale afin de pouvoir suivre le Suprême dans son Devenir – ce n'est pas « à un moment donné » qu'il faut être aussi vaste que l'univers, c'est indéfiniment dans le Devenir. Ce sont les deux conditions. Il faut qu'elles soient là, potentielles.

Jusqu'au vital, c'est encore dans le domaine des choses plus que faisables – faites. Au point de vue matériel, ça conduit à mes mésaventures de l'autre jour (1).

1. L'évanouissement : Mère se répand physiquement sur le monde.

Et même en acceptant a priori toutes ces mésaventures, c'est difficile, parce qu'il y a un double mouvement : une transformation cellulaire, et en même temps une capacité de « quelque chose » qui pourrait remplacer l'accroissement par un déplacement ou une réorganisation intercellulaire constante (2).

2. Plus tard, Mère a précisé le sens de cette phrase : «Je voyais que pour suivre le Suprême dans le Devenir, il faut être capable de s'augmenter, parce que l'univers augmente dans le Devenir : il n'y a pas une quantité équivalente de disparition qui compense l'augmentation. Par conséquent, il faut avoir la capacité vraiment de croître, comme un enfant croît, de s'augmenter ; mais en même temps, l'augmentation nécessite une réorganisation intérieure constante pour que les choses progressent. Il faut, en même temps qu'on augmente la quantité (si on peut parler de quantité), qu'on maintienne la qualité par une réorganisation interne du rapport de toutes les cellules entre elles. »

Naturellement, nos corps tels qu'ils sont, c'est quelque chose de fixe, de lourd – enfin, c'est innommable tel que c'est, autrement on ne vieillirait pas. N'est-ce pas, mon être vital est plus plein d'énergie, et par conséquent de jeunesse, de pouvoir de croissance, que quand j'avais vingt ans. Il n'y a pas de comparaison. Le pouvoir est infiniment supérieur – et le corps s'en va en morceaux, enfin c'est une espèce de chose innommable. Par conséquent, c'est cet ajustement entre l'être vital et l'être matériel qui est à trouver.

Non pas que le problème n'ait pas été partiellement résolu, parce que les hathayogis l'ont résolu, partiellement – à condition de ne s'occuper que de ça (c'est ça, la difficulté). Mais enfin il faudrait avoir le pouvoir, ayant la connaissance, de faire le nécessaire sans que ce soit une occupation exclusive. Mais il est évident que ce n'est pas un domaine tout à fait inconnu parce que quand je me suis retirée (3), pendant les premiers mois où j'avais cessé tout rapport avec l'extérieur, ça marchait très bien – oh ! extraordinairement. J'avais des quantités de troubles dans mon corps, qui ont été surmontés, et il y avait beaucoup d'indications assez précises que si je continuais assez longtemps, je rattraperais tout ce qui avait été perdu, avec amélioration d'équilibre. C'est-à-dire que l'équilibre du fonctionnement était très supérieur. Ça ne s'est arrêté et ne s'est détérioré que de la minute où je suis rentrée en contact avec le monde – d'autant plus que c'était aggravé par cette discipline d'élargissement qui fait que constamment, constamment j'absorbe des montagnes de difficultés à résoudre. Et alors...

3. En décembre 1958.

Au point de vue mental, c'est assez facile – en cinq minutes on peut remettre les choses en ordre, ce n'est pas difficile. Au point de vue vital, c'est déjà un peu plus ennuyeux, ça prend un peu plus de temps. Mais alors, au point de vue matériel, ça... C'est cette contagion du mauvais fonctionnement cellulaire et cette sorte de désorganisation intérieure des choses qui ne restent pas à la place qu'il faut : chaque absorption du dehors crée instantanément un désordre, déplace tout et fait des rapports faux, disloque l'organisation, et il faut quelquefois des heures pour remettre ça en place. Ce qui fait que si je voulais vraiment utiliser la possibilité du corps sans me trouver en face de la nécessité d'en changer parce qu'il ne peut pas suivre, il faudrait vraiment que, matériellement, autant que possible, je cesse d'ingurgiter toutes sortes de choses qui me tirent d'années en arrière.

C'est difficile, difficile.

Tant qu'il n'est pas question de transformation physique, le point de vue psychologique et (en grande partie) subjectif est suffisant. Ça, c'est relativement facile. Mais quand il s'agit d'incorporer dans le travail la Matière telle qu'elle est dans ce monde où le point de départ lui-même est faux (nous partons de l'Inconscience et de l'Ignorance), ça, c'est très difficile.

Parce que, justement, cette Matière, afin d'arriver à l'individualisation nécessaire pour retrouver la Conscience perdue, elle a été faite avec une certaine fixité indispensable pour faire durer la forme et pour garder, précisément, cette possibilité d'individualité. Et c'est ça, le principal obstacle à cet élargissement et à cette plasticité, à cette souplesse nécessaire pour être capable de recevoir le Supramental.

Je me trouve constamment devant ce problème, qui est un problème tout à fait concret, absolument matériel, quand on a affaire à ces cellules et qu'il faut qu'elles restent des cellules, qu'elles ne se vaporisent pas dans une réalité qui n'est plus physique, et en même temps qu'elles aient cette souplesse, ce manque de fixité qui fait qu'elles peuvent s'élargir indéfiniment.

Il m'est arrivé, quand je faisais le travail dans le mental le plus matériel (le mental qui est incorporé dans la substance) d'avoir l'impression d'un cerveau qui gonfle-gonfle-gonfle, comme ça, et d'une tête qui va éclater tellement elle est grosse ! Il m'est arrivé, deux fois, d'être obligée d'arrêter, parce que c'était (est-ce que c'était seulement une impression, ou est-ce que c'était un fait ?) mais ça paraissait dangereux, comme si la tête allait éclater, parce que le dedans devenait trop formidable (c'était ce pouvoir dans la Matière, cette lumière bleu foncé tellement puissante, qui a des vibrations tellement puissantes, qui est capable de guérir, par exemple, qui est capable de changer le fonctionnement des organes – c'est vraiment une chose très puissante matériellement).

Eh bien, c'était ça qui remplissait ma tête de plus en plus, de plus en plus, et j'avais l'impression que le crâne était – c'était douloureux n'est-ce pas –, que le crâne était soumis à une tension du dedans au dehors qui poussait-poussait tout ça... Je me demandais ce qui allait arriver. Alors, au lieu de suivre le mouvement, de l'aider et de l'accompagner, je devenais immobile, passive, pour voir ce qui arriverait, et dans les deux cas ça s'est arrêté ; je n'aidais plus le mouvement, n'est-ce pas, je restais tout simplement passive, et ça s'est arrêté, il y a eu une sorte de stabilisation.

(silence)

Mais Sri Aurobindo a dû avoir l'expérience [de cet élargissement cellulaire], parce qu'il a été tout à fait positif, il a dit que ça pouvait se faire.

Naturellement, il s'agit de la supramentalisation de la matière – la conscience, ce n'est rien. La plupart des gens qui ont eu cette expérience, c'était dans le mental – ça, c'est relativement très facile. Très facile : suppression des limites de l'ego, élargissement indéfini, et le mouvement qui suit le rythme du Devenir. Tout ça, mentalement, c'est très facile.

Vitalement... Au bout de quelques mois quand je me suis retirée, j'ai eu l'expérience au point de vue vital – c'était magnifique, merveilleux ! Là, naturellement, pour pouvoir avoir l'expérience, il faut que le mental soit changé, il faut être en pleine communion, et tout-tout vital individuel pas préparé par ce qu'on pourrait appeler une base mentale suffisante serait pris de panique – tous ces pauvres gens qui ont peur pour n'importe quelle petite expérience, il ne faut pas qu'ils y touchent, ce serait pour eux quelque chose d'affolant !

Mais il se trouve, par la Grâce divine si l'on peut dire, que ce vital actuel, de cette présente incarnation, est né libre et victorieux. Il n'a jamais eu peur de rien dans le monde vital ; les expériences les plus fantastiques étaient presque comme des jeux d'enfants. Mais alors là, quand j'ai eu l'expérience, c'était vraiment intéressant, au point que j'ai eu pendant quelques semaines la tentation de rester là, c'était... Je t'avais dit, une fois, un petit bout d'expérience (il y a longtemps, il y a au moins deux ans), je t'ai dit (1) que même dans la journée, c'était comme si j'étais assise sur la Terre – c'était cette réalisation dans le monde vital. Mais alors ça me faisait des nuits fantastiques ! que je n'ai jamais pu décrire à personne, je n'en ai pas parlé, mais j'attendais la nuit comme on attend une chose merveilleuse.

1. Cela fait partie des trésors perdus, jamais notés, lorsque Mère nous racontait ses expériences sans que nous comprenions que c'était déjà «l'Agenda».

J'y ai renoncé volontairement, pour aller plus loin. Et c'est même quand j'ai fait ça que j'ai compris ce qu'ils veulent dire ici quand ils disent : he surrendered his experience [il a fait le sacrifice de son expérience]. Je n'avais jamais très bien compris en quoi ça consistait. Quand je l'ai fait, j'ai compris. J'ai dit : « Non, je ne veux pas m'arrêter là ; je Te donne tout pour aller jusqu'au bout. » Alors j'ai compris ce que ça voulait dire.

Si j'avais gardé ça, oh !... je serais devenue un de ces phénomènes mondiaux ! qui bouleversent l'histoire de la Terre. Un pouvoir formidable ! Formidable, insensé. Seulement, c'était s'arrêter là. C'était accepter ça comme point final – j'ai continué.

Voilà. Alors qu'est-ce que je peux te dire d'intéressant, parce que tout ce que je t'ai dit maintenant, c'est un mélange dont les trois quarts ne peuvent pas servir.

Mais douce Mère...

Ce n'est pas dit avec l'idée d'écrire un article !

Quand tu m'as envoyé ce mot et que je l'ai lu, alors immédiatement, en m'accrochant à l'expérience, les choses sont devenues claires. Je te les ai dites comme on peut les dire...

(silence)

Les gens qui étaient dans ce bateau, ce qu'ils avaient, c'étaient ces deux capacités-là :

1) Capacité d'élargissement indéfini de la conscience sur tous les plans, y compris le matériel.

2) Plasticité illimitée pour pouvoir suivre le mouvement du Devenir.

La chose se passait dans le physique subtil. Et les gens qui avaient des taches et qu'on était obligé de reprendre étaient toujours ceux qui manquaient de la plasticité nécessaire pour les deux mouvements. Mais il s'agissait surtout du mouvement d'élargissement plus que du mouvement de progression pour suivre le Devenir – ça, ça paraissait être une préoccupation ultérieure, pour ceux qui étaient débarqués, après le débarquement. Mais la préparation sur le bateau, c'était cette capacité d'élargissement.

Il y avait une chose aussi dont je n'ai pas parlé quand je t'ai raconté l'expérience : le bateau n'avait pas de machines. Tout, tout était mis en mouvement par la volonté : les individus et les choses (le costume même des gens était un effet de leur volonté). Et ça donnait à toutes les choses et aux formes des individus une grande souplesse, parce qu'on était conscient de cette volonté – qui n'est pas une volonté mentale, qui est une volonté du Soi, ou une volonté spirituelle pourrait-on dire, une volonté de l'âme (si on donne au mot âme ce sens-là).

C'est une expérience que j'ai faite ici quand on agit avec une spontanéité absolue, c'est-à-dire quand l'action (comme la parole et le mouvement) n'est pas déterminée par le mental, même pas (je ne parle pas de la pensée et de l'intellect) mais même pas par le mental qui nous fait mouvoir généralement.

Généralement, nous percevons en nous la volonté de faire une chose au moment où nous la faisons ; quand on s'observe, on voit ça : il y a toujours (ce peut être très prompt) la volonté de faire ; quand on est conscient et qu'on se regarde faire, on voit qu'on a la volonté de faire – c'est l'intervention du mental, l'intervention habituelle, l'ordre dans lequel les choses se passent.

Tandis que l'action supramentale est décidée en sautant par-dessus le mental ; passer par lui n'est pas nécessaire : c'est direct. Quelque chose entre en contact direct avec les centres vitaux et les fait agir sans passer par la pensée – mais en toute conscience. La conscience ne fonctionne pas dans l'ordre habituel, elle fonctionne directement du centre de volonté spirituelle à la Matière.

Et tant qu'on peut garder cette immobilité absolue du mental, l'inspiration est absolument pure – elle vient pure. Quand on peut attraper ça et le garder en parlant, ce qui vient aussi n'est pas mélangé, ça reste pur.

C'est un fonctionnement extrêmement délicat, probablement parce qu'il n'est pas accoutumé – un tout petit mouvement, une toute petite vibration mentale dérange tout. Mais tant que ça dure, c'est parfaitement pur. Et c'est ça qui doit être l'état constant d'une vie supramentalisée. La volonté mentalisée ne doit plus intervenir – parce qu'on peut très bien avoir une volonté spirituelle, on peut vivre constamment en exprimant la volonté spirituelle (tous ceux qui sentent qu'ils sont dirigés par le Divin en eux, c'est ce qui leur arrive), mais ça passe par une transcription mentale. Eh bien, tant que c'est ça, ce n'est pas la vie supramentale. La vie supramentale ne passe PLUS par le mental. Le mental est une zone immobile de transmission. Un tout petit déclic suffit à déranger.

(silence)

On peut donc dire que l'état constant, nécessaire, pour que le Supramental puisse s'exprimer à travers une conscience terrestre, c'est cette égalité parfaite qui provient de l'identification spirituelle avec le Suprême: tout devient le Suprême dans une égalité parfaite.

Et automatique : pas une égalité qu'on obtient par la volonté consciente, par l'effort intellectuel, par une compréhension qui précède l'état – ce n'est pas ça. Il faut que ce soit spontané et automatique, que la façon de répondre à tout ce qui vient du dehors ne soit plus comme si on répondait à quelque chose qui vient du dehors.

Il faut que cette espèce de réception et de réponse soient remplacées par un état de perception constant et (je ne peux pas dire identique parce que chaque chose appelle nécessairement sa réponse spéciale), mais on pourrait presque dire libre de tout rebondissement.

C'est la différence qu'il y a entre quelque chose qui vient du dehors et qui vous frappe, et à quoi vous répondez, et quelque chose qui circule et qui tout naturellement entraîne les vibrations nécessaires à l'action générale – je ne sais pas si je me fais comprendre...

C'est la différence entre un mouvement vibratoire qui circule dans un champ d'action IDENTIQUE, et un mouvement qui vient de quelque chose en dehors et qui touche du dehors, et qui obtient une réponse (ça, c'est l'état habituel de la conscience humaine).

Tandis que quand la conscience est identifiée au Suprême, les mouvements sont pour ainsi dire intérieurs, en ce sens qu'il n'y a rien qui vienne du dehors : ce sont seulement des choses qui circulent et qui, naturellement, dans leur circulation, entraînent par similitude et par nécessité, ou changent les vibrations dans le milieu circulatoire.

C'est une chose qui m'est très familière parce que c'est mon état actuel constant – je n'ai jamais l'impression de quelque chose qui vient du dehors et qui me cogne, mais j'ai l'impression de mouvements intérieurs, multiples, quelquefois contradictoires, et d'une circulation constante entraînant les changements intérieurs nécessaires au mouvement.

Ça, c'est la base indispensable.

C'est une expérience qui est là depuis très longtemps et qui est aintenant tout à fait établie. Dans le temps, elle était momentanée, maintenant elle est constante. C'est la base indispensable.

Et là-dedans, l'élargissement suit presque automatiquement, avec des nécessités d'ajustement dans le corps lui-même, qui sont difficiles à résoudre. C'est un problème dans lequel je suis encore complètement plongée.

Et puis cette espèce de souplesse... C'est une capacité de se décristalliser – toute, toute la période de la vie qui consiste à s'individualiser est une période de cristallisation consciente et volontaire qui, après, doit être défaite. Pour devenir un être conscient et individuel, c'est une cristallisation constante-constante, et volontaire, de toutes choses ; et après, il faut faire le mouvement contraire, constamment, et aussi, encore plus, volontairement. Et en même temps, il ne faut pas perdre le bénéfice, dans la conscience, de ce qui a été acquis par l'individualisation.

Il faut dire que c'est difficile.

Au point de vue de la pensée, c'est élémentaire, c'est très facile. Même au point de vue des sentiments, ce n'est pas difficile : que le cœur, c'est-à-dire l'être affectif, s'élargisse à la dimension du Suprême, c'est relativement facile. Mais ce corps ! C'est très difficile – très difficile sans qu'il perde son centre (comment dire ?) de coagulation, qu'il ne se dissolve pas dans la masse environnante.

Et encore, si on était dans un lieu de la Nature avec des montagnes, des forêts, des rivières, et puis beaucoup d'espace et beaucoup de beauté naturelle, ce serait plutôt agréable ! Mais on ne peut pas faire un pas matériellement, hors de son corps, sans rencontrer des choses pénibles – il arrive quelquefois qu'on soit en contact avec une substance qui est plaisante, qui est harmonieuse, chaleureuse, qui vibre d'une lumière supérieure. Mais c'est rare. Oui, les fleurs, quelquefois les fleurs – quelquefois, pas toujours.

Mais ce monde matériel, oh !... on est cogné par tout – griffé ; griffé, écorché, cogné par toutes sortes de choses qui ne s'épanouissent pas, oh ! comme c'est difficile ! comme la vie humaine n'est pas épanouie ! recroquevillée, durcie, sans lumière, sans chaleur, et je ne parle pas de joie.

Tandis que, quelquefois, quand on voit de l'eau qui coule, ou un rayon de soleil dans les arbres, oh ! ça chante – des cellules qui chantent, qui sont contentes.

Voilà, mon petit. C'est tout ce que je peux te dire. Si tu peux faire quelque chose de ça... Mais l'expérience est nouvelle. Elle est intéressante, n'est-ce pas ? Je suis obligée de le mettre sous forme d'expérience parce que ça n'existe pas autrement – ça n'existe que comme ça.

Tu le feras aussi peu personnel que possible ! Tu as besoin de ce machin ? (La note de Mère au disciple) Alors, voilà ton papier – ce n'est rien, c'est une notation intellectuelle.

(Plus tard, au moment de partir :)

Si nous allons sur ce chemin-là, évidemment on pourra faire des choses qui valent la peine, parce que c'est nouveau. C'est tout à fait nouveau, je n'ai jamais parlé de ça avec Sri Aurobindo, parce que je n'avais pas ces expériences-là à ce moment-là; j'avais toutes les expériences psychologiques à partir du mental, même le plus matériel, du vital ou de la conscience physique : la CONSCIENCE physique, mais pas le corps. Ça, c'est nouveau, c'est depuis trois ou quatre ans.

Tout le reste est facile. Tout le reste jusque là, c'est arrangé – arrangé très bien.

On serait tenté évidemment de penser que si la difficulté de la transformation physique est si grande, est-ce qu'il n'y aurait pas avantage à « matérialiser» quelque chose, à agir occultement ? À créer un corps nouveau par des procédés occultes ?

C'était ça, l'idée : il faudrait d'abord que des êtres soient arrivés jusqu'à une certaine réalisation ici, dans le monde physique, qui leur donnerait le pouvoir de matérialiser un être supramental.

Je t'ai raconté que j'avais revêtu d'un corps un être du vital (1) – mais je n'aurais pu, il aurait été impossible de rendre ce corps matériel : il manque quelque chose. Il manque quelque chose. Même si on le rendait visible, probablement on ne pourrait pas le garder permanent : à la moindre occasion il se dématérialiserait. C'est cette permanence qu'on ne peut pas obtenir.

1. Cela fait aussi partie des trésors perdus, en 1957 ou 1958.

C'est une chose dont nous avons discuté avec Sri Aurobindo (« discuter » est une façon de parler), nous en avons parlé avec Sri Aurobindo, et il voyait la chose comme moi, c'est-à-dire qu'il y a un pouvoir, oui, de FIXER la forme, là, sur la Terre, que l'on n'a pas. Même ceux qui ont des capacités de matérialisation, comme l'avait Mme Théon, par exemple, ça ne reste pas – ça ne peut pas, ça ne peut pas rester, ça n'a pas la vertu des choses physiques.

Et alors on ne pourrait pas assurer la continuité de la création sans quelque chose qui possède ça.

Oui, on pourrait dire cela, parce que c'est intéressant. On pourrait se poser la question.

Tout le processus occulte, je le connaissais en détail, mais je n'aurais jamais pu le rendre plus matériel, même si j'avais essayé – visible, oui, mais impermanent, pas capable de progression.

Et note que (c'est une chose tout à fait personnelle) je ne crois pas avoir perdu du temps, parce que, n'est-ce pas, on pourrait dire que si ce que je sais maintenant était arrivé, par exemple, quarante ans plus tôt – à quarante ans au lieu de quatre-vingt –, alors on a l'impression qu'on a du temps. Mais je n'ai pas perdu de temps. Je n'ai pas perdu de temps, il a fallu tout ce temps pour en arriver où j'en suis.

Je ne crois pas que je sois allée lentement – j'ai eu les conditions les plus merveilleuses, comme je te l'ai dit la dernière fois, ces trente ans avec Sri Aurobindo, les plus merveilleuses conditions qu'on pouvait avoir. Je n'ai pas perdu mon temps, oh ! c'était heure par heure.

C'est un long travail.

Lui, disait qu'il fallait au moins trois cents ans, alors il n'y a pas de temps perdu.

Il faut déjà donner au corps quelque chose qui lui permette de durer trois cents ans.

* * *

(Note de Mère au disciple à propos de sa question du 9 janvier sur les capacités requises pour accéder au monde supramental:)
 

Capacité d'élargissement indéfini de la conscience sur tous les plans, y compris le matériel.

Plasticité illimitée pour pouvoir suivre le mouvement du devenir.

Égalité parfaite abolissant toute possibilité de réaction d'ego.

 

Deux points de conclusion

Pour une telle réalisation, c'est la conscience divine, la présence divine en nous qui fait le travail et le mieux que nous puissions faire c'est de nous prêter au processus, d'y aspirer, de nous immerger dans la vibration du mantra.

Depuis le 29 février 1956, la conscience supramentale se répand en flots ininterrompus sur toute la terre et sur le plan infinitésimal, ne cesse d'imprégner, de s'infuser dans la conscience-substance matérielle. Patience et persévérance...

La manifestation du Supramental sur la terre n’est plus seulement une promesse, mais un fait vivant, une réalité. Il est à l’œuvre maintenant, ici-bas, et un jour viendra où le plus aveugle, le plus inconscient, même le plus volontairement ignorant, sera obligé de le reconnaître.

(Agenda du 24 avril 1956)

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