Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par pascalemmanuel

Un ami m'a suggéré de regarder cette interview de Slobodan Despot et effectivement, on apprend des choses, et c'est d'autant plus fort et percutant que le ton reste admirablement calme et posé. Je trouve particulièrement important de, petit à petit, rétablir les vérités historiques sur les événements qui ont marqué notre histoire. Ou en tout cas, de s'y approcher le plus possible, ou a minima comme il le fait, d'attirer l'attention sur les manipulations qui ont eu lieu, en l’occurrence ici et entre autre, le bombardement de Dresde pendant la seconde guerre mondiale et massacre de Sebrenica en Yougoslavie.

Le petit historique qu'il fait de la presse apporte aussi un éclairage saisissant sur notre époque actuelle, avec un éclairage métaphysique tout à fait inattendu. Sauf erreur de ma part, je n'ai entendu personne faire ce lien. C'est peut-être aussi cela, penser par soi-même, être capable de faire des liens là où les autres n'en font pas. Une façon de relier les choses entre elles.

Extraits :

10 mn 37

J’avais une fort mauvaise réputation déjà à l’époque à l’université de Lausanne parce que j’écrivais dans le journal de l’université et que… Voyez, j’avais dans quelques-uns de mes articles, touchés des sujets que je ne savais pas moi-même être sensibles. C’était l’époque des commémorations de la seconde guerre mondiale et je sais qu’on m’en a beaucoup voulu d’avoir écrit un article intitulé « les incommémorables » où je disais : voilà, on va commémorer des tas de choses de la deuxième guerre mondiale mais sur quoi on ne va pas tellement insister, c’est l’extermination de dizaines de milliers de civils à Dresde. (…)

Je considère qu’un être humain est un être humain, quoiqu’il arrive. Et que si vous sortez les grands violons pour commémorer les victimes civiles d’un côté, vous êtes obligés de tenir compte de l’autre, sinon, vous ne faites que prolongez une guerre dans les mots, dans la manipulation des faits. À l’université de Lausanne, ça ne passait pas très bien à l’époque.

Donc, c’est ce bombardement de la ville de Dresde par les Américains, des Anglo-américains…

Qui n’était pas stratégiquement justifié, c’était des civils. Ça fait partie… vous savez, Belgrade la capitale de la Servie a été bombardé, de la même façon que Dresde, deux fois durant la deuxième guerre mondiale. La première fois par les Allemands et puis ensuite par les Alliés. La première fois, on sait pourquoi, parce que la Serbie s’était insurgée contre l’adhésion au bloc allemand, mais la deuxième fois, on ne sait pas pourquoi les Alliés ont bombardé Belgrade. C’était une guerre absolument épouvantable, de quelque côté qu’on la prenne. Maintenant, quand vous commencez à sélectionner les bons et les méchants, là vous commencer à entrer dans quelque chose qui est idéologique et à quoi je suis extrêmement allergique.

Et c’est aussi cela, qui vous a amené à finalement mettre en perspective le massacre de Sebrenica ? Parce que, ça aussi, c’est quelque chose que l’on vous l’a beaucoup reproché. On vous a même associé à une sorte de…. de nier en fait ce massacre, c’était peut-être juste une mise en perspective , c’est ça ?

C’est un fait, il existe une liste, documentée par médecins légistes de 3200 victimes, serbes, de ce lieu et région, antérieures à la prise de la ville en juillet 1995. Cette liste a été déposée au Tribunal Pénal International et n’a pas été prise en compte. Donc, le Tribunal Pénal International a décidé qu’il n’allait enquêter que sur les conséquences, c’est-à-dire, disons la vengeance, et pas sur les causes de la violence qui a eu lieu à Sebrenica. C’est le genre de manipulation typique des faits. Je n’ai même pas discuté de ce qui s’est passé en juillet 1995, je dis : il s’est passé des chose de 1992 à 1995 dans cette région. Pourquoi vous n’en parlez pas ? Jamais personne n’en a parlé. En occident. (…) Nous arrivons dans une époque où, des sujets comme celui-là, comme d’autres sujets qui sont tabous. Sebrenica, c’est très simple, des gens, en occident, en Suisse, ont eut affaire à la justice parce qu’ils avaient mis en question certains aspects de ces événements. Donc, c’est un endroit, c’est un événement breveté, on n’y touche pas.

C’est un jeu très dangereux, parce que, partout dans le monde, hors de la sphère d’influence occidentale, on discute de ces événements. En Russie, en Chine, en Inde, partout où on a eu cette connaissance des événements de Yougoslavie, on ne croit pas du tout que les choses se sont passés comme la narration occidentale les a présenté. Pas du tout. Et cette divergence est encore beaucoup plus manifeste sur les événements ultérieurs.

*

18 mn

La loi du talion, c’est un pour un, c’est pas 50 contre un. Et ça ne permet jamais de résoudre un conflit.

*

28 mn 50

On vit depuis un siècle et demi dans une ère que Flaubert ou Baudelaire aurait décrit comme l’ère bourgeoise, une ère de l’opinion, une ère où l’opinion est façonnée par les gazettes, était façonnée par les gazettes. (…) D’ailleurs, la presse, faut-il le rappeler, les origines de la presse, c’est les gazettes du temps de Louis XIII sauf erreur, du temps de la Fronde, des lettres qui étaient imprimées, distribuées pour influencer les gens. Ce n’était pas pour leur donner une information objective. La presse servait à influencer, c’était un outil d’action politique. (…) La presse n’est pas là, depuis les origines, pour vous donner une image objective du monde. Vous lisez les illusions perdues de Balzac, vous voyez que, des années 1800 à aujourd’hui, bien peu de choses ont changé. Il y a des gens qui payent la presse, elle se prostitue, elle ne vit pas de ses abonnements ou de sa vente, elle vit de son trafic d’influence et puis, elle est versatile, volatile, passionnante et cynique.

Ce que je décrit, c’est les illusions perdues, tout est transposable. Maintenant, cette emprise des médias, à mon avis, correspond à une époque, je vais peut-être vous surprendre, correspond à des époques sans métaphysique, des époques de pure sociologie. Le règne bourgeois, typiquement, lisez Flaubert, c’est un règne où il n’est pas opportun, il n’est pas imaginable de se poser des questions fondamentales sur l’existence. Pourquoi tel régime plutôt que tel autre ? À quoi est-ce que je crois vraiment ? Qu’est-ce qui est important, vraiment, dans ma vie ?

*

40 mn 42

L’esprit civique. Depuis qu’on dit citoyen… je sais pourquoi on dit citoyen : parce que le civisme n’existe plus. Citoyen, ça ne veut rien dire du tout, c’est une adjectivation d’un substantif qui ne signifie rien du tout sinon qu’on ne sait plus ce qu’est l’esprit civique.

*

42 mn 42

Le système, quand il devient fou, s’arrange pour que ceux qui le dirigent soient… assortis, qu’ils ne se rendent même pas compte de leurs contradictions.

C’est-à-dire que le système, en fait, fait que les gens rentrent dans des moules…

J’ai été très influencé, dans ma vie, par l’œuvre et la fréquentation de celui qui, à mon avis, était le sociologue ou disons d’une façon générale le penseur le plus intelligent du XXe siècle, en tout cas de la fin du XXe siècle, c’était Alexandre Zinoviev, qui a quand même expliqué comment fonctionnait le système soviétique. Et non seulement il a expliqué comment fonctionnait le système soviétique mais comment fonctionnait un système totalitaire en soi. Et après quand il a été expulsé d’Union Soviétique en 76 et qu’il est venu en Europe il a fait toute une série de livres pour expliquer : « Attention, votre système, c’est le même ! Simplement, vous ne vous en rendez-pas compte encore ».

*

44 mn 14

Les époques où les signes sont vers la régression ne permettent pas l’émergence de personnalités qui sont des personnalités positives. Elles ne permettent l’émergence que de personnalités qui profitent...

*

45 mn :

Dans une édition de l’Anti-presse vous souligne ce que vous appelez « la bêtise rugissante de l’élite dirigeante en occident », donc, c’est ce que vous expliquez finalement, c’est cette bêtise-là, ce court-termisme, cette incapacité à voir le réel :

Alors oui, il y a bien des aspects à cela. Quand je dis « rugissante », c’est que… l’idiot est le dernier à savoir qu’il est idiot. Et plus il est idiot, plus il va s’en défendre, plus il va être bruyant. Et ces gens qui tapent sur la table, qui donnent des leçons, au monde entier, qui prétendent moraliser des gens qui ne les écoutent même plus d’ailleurs…

Oui, on pense notamment aux fact-checkers, les zététiciens, des gens comme ça, Julien Pain, Rudy Reichstadt...

Ce sont des gens qui n’ont absolument aucun sens du contexte, ils ne savent pas où ils nagent. Et moi, je pense que… Tenez, j’ai pris quelques citations avec moi. Il y avait notamment, à propos de l’intelligence – l’intelligence ce n’est pas une affaire de savoir, c’est pas une affaire d’informations,

l’intelligence, c’est une affaire d’harmonie de la personnalité. Alors :

« L’existence de convictions chez l’homme…

Nous avons des gens qui n’arrêtent pas de vous matraquez avec leurs convictions : « Je suis convaincu que... », les présidents, les machins qui déclarent la guerre… ou qui vous parlent de « valeurs », et je mets ces valeurs entre guillemets parce qu’on ne sait jamais, ils ne définissent jamais… mais ils ont des convictions qui correspondent à des valeurs, extrêmement abstraites.

Et Alexandre Zinoviev dans un livre qui s’appelle Homo soviéticus où il fait le portrait robot du citoyen soviétique, il dit ceci :

L’existence de convictions chez l’homme est un signe de sous-développement intellectuel. Elles ne font que compenser son incapacité à comprendre rapidement et exactement tel ou tel phénomène dans sa réalité concrète. Ce sont des idées a priori permettant d’agir dans une situation concrète, sans en comprendre le caractère de concret. L’homme à convictions est rigide, dogmatique, assommant, et comme il se doit, stupide. Le plus souvent d’ailleurs, les convictions n’ont aucune influence sur la conduite des gens, elles ne font qu’enjoliver la vanité, justifier les consciences troubles…

Affaire fond Marianne…

...justifier les consciences troubles et masquer la sottise."

Et ça, ça a plus d’un demi-siècle ces choses-là.

Effectivement, ça résume bien…

C’est Baudelaire je crois qui disait, heureusement qu’on a eu des grand-mères. (…) [Ma grand-mère] avait une extraordinaire intelligence des êtres et des situations. Elle savait que dans une situation donnée, vous ne pouvez pas agir n’importe comment. C’est simplement la finesse. La finesse de compréhension du monde et des meurs et des affaires du monde. Et là, vous avez des générations de gens qui empoignent le monde, comme ils empoigneraient un violon avec des gants de boxe. Ils ne comprennent RIEN À RIEN. Et il faut se les farcir, c’est extrêmement pénible.

D’autant qu’ils se prétendent faire la police de la pensée, y compris de manière très agressive.

Moins ils comprennent, plus ils savent. Très souvent, le savoir et la compréhension sont antagonistes.

Plus loin dans l'interview Slobodan Despot, à partir de l'ouvrage L'abolition de l'homme et l’œuvre de Wolfgang Smith entre dans un questionnement plus profond sur le nazisme, l'eugénisme, et en vient à la question de l'évolution sous l'angle obscur, version Nietzsche et Teilhard de Chardin.

Dans ce sujet complexe, il remarque que la volonté de puissance, moderne, n'est pas sans rappeler le nazisme, dont nous ne sommes pas encore sortis. Depuis les années 80, dans les Carnets d'une Apocalypse Satprem a souvent mentionné la présence dans nos sociétés de la vibration nazie, et nous pouvions très mal comprendre ce qu'il voulait dire. Et dans ces années là, probablement, à peu près personne n'en avait conscience. Non seulement dans nos sociétés, mais dans la conscience même de la conscience collective, dans la conscience du "corps terrestre".

Or, je constate que désormais un nombre non négligeable d'intellectuels interviennent sur les réseaux sociaux pour attirer l'attention sur ce phénomène : Anne Bilheran, Jean-Dominique Michel, ici, Slobodan Despot, d'autres sans doute. C'est un signe que la prise de conscience se développe. C'est une question de fond très délicate : comment se fait-il, que cette vibration existe encore, et ressurgisse avec tant de force aujourd'hui ? Compte-tenu de la nature-même de cette vibration, il faudra bien, un jour ou l'autre, que nous trouvions comment l'éradiquer.

Comme Alexis Cossette, Xavier Moreau et d'autres dans cette mouvance positive de l'information, Slobodan Despot ne semble voir dans cette promesse évolutive de l'homme vers sa divinité qu'une prétention diabolique. C'est là que j'aurais aimé être érudit et être capable de lui parler de l’œuvre de Sri Aurobindo-Mère et des livres de Satprem. Pour être honnête, j'aurais eu envie de lui CRIER de lire Sri Aurobindo, et qu'alors il trouverait les réponses à son angoissant questionnement sur la nature évolutive de l'homme et des sociétés.

L'incompréhension de ces hommes de bonne volonté me rappelle ce vers extraordinaire de Savitri concernant ce que les Dieux blancs ont manqué.

Satprem – Carnets d’une Apocalypse - 12 février 1983

Si je n'avais pas connu cette horreur il y a quarante ans, je n'aurais jamais découvert l'Amour du Divin. C'est parce qu'il y a cette horreur et cette douleur qu'il y a cet Amour. Ça rachète tout. Il faut que l'ego soit écrasé pour découvrir Ça. La tâche du Mal dans le monde, c'est d'écraser l'ego . Les « hommes de bien » ne peuvent pas comprendre. De même la mort est faite pour écraser l'ego qu'est le corps (la forteresse du corps). L’Amour découvert vaincra la mort du corps. Mère disait « se défaire en avant». Je comprends bien, maintenant, ce qu'elle veut dire .

Peut-être, puisque c'est si difficile de parler de telles choses, comme l'a suggéré Mère en 1969, assez de paroles, des actes. Ce processus intérieur de transformation, chacun à sa mesure et où il en est, il faut le vivre...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article