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Publié par pascalemmanuel

Après avoir parlé du retrait des sens et de la nécessité de l'action accomplie sans désir et en union avec le Divin, voici comment Sri Aurobindo conclut ce chapitre sur le Yoga de la Volonté intelligente.

Si l’on fait cela, il devient alors possible de se mouvoir parmi les objets des sens, d’être en contact avec eux, d’agir sur eux, mais avec les sens sous le complet contrôle du moi subjectif – non pas à la merci des objets, de leur contact et des réactions qu’ils suscitent — et ce moi lui-même obéissant au moi le plus haut, le Pourousha.

Libres alors des réactions, les sens seront délivrés des maux de la sympathie et de l’antipathie, échapperont à la dualité du désir positif et négatif, et le calme, la paix, la clarté, la tranquillité heureuse, âtma-prasâda, s’établiront en l’homme.

Cette claire tranquillité est la source de la félicité de l’âme ; le chagrin commence à perdre son pouvoir de toucher l’âme en paix ; l’intelligence est rapidement établie dans la paix du moi ; la souffrance est détruite.

C’est à cette fixité calme, sans désir ni chagrin, de la bouddhi en son équilibre essentiel et sa connaissance de soi, que la Guîtâ donne le nom de samâdhi.

*

Le signe de l’homme en samâdhi n’est pas qu’il perd conscience des objets et de son entourage, de son moi mental et physique, et qu’on ne peut l’y rappeler ni en brûlant ni en torturant le corps — idée ordinaire de la question. La transe est une intensité particulière, non l’indice essentiel.

C’est par l’expulsion de tous les désirs, par leur impuissance à atteindre le mental, que la preuve est fournie, par l’état intérieur dont s’élève cette liberté, par la joie de l’âme recueillie en elle-même, le mental étant égal, tranquille et en un équilibre élevé bien au-dessus des attirances et des répulsions, des alternances de soleil, d’orage et de tension de la vie extérieure.

L’âme est retirée au-dedans alors même qu’elle agit extérieurement ; elle est concentrée en soi alors même qu’à l’extérieur elle regarde intensément les choses ; elle est entièrement dirigée vers le Divin alors même qu’elle est, pour la vision extérieure des autres, occupée et absorbée par les affaires du monde.

Arjouna, parlant au nom du mental humain moyen, demande un signe extérieur, physique et que l’on puisse discerner pratiquement, de ce grand samâdhi : comment un tel homme parle-t-il, comment s’assied-il, comment marche-t-il ?

De tels signes ne peuvent être donnés, et l’instructeur n’essaie pas de les fournir ; car le seul moyen d’en mettre la possession à l’épreuve est intérieur, et il y a quantité de forces psychologiques hostiles qui se présentent à cet effet. L’égalité est le grand signe de l’âme libérée et, de cette égalité, les indices les plus discernables eux-mêmes sont encore subjectifs.

« Un homme dont le mental n’est point remué par les chagrins, qui en a fini du désir pour les plaisirs, de qui l’antipathie, la colère et la crainte se sont dépris, tel est le sage dont l’entendement a pris assise en la stabilité. »

Il est « sans la triple action des qualités de la Prakriti, sans les dualités, toujours fondé en son être vrai, sans rien qu’il obtienne ou qu’il ait, possédant son moi ».

Qu’est-ce que l’âme libre a en effet à obtenir ou à avoir ? Une fois que nous possédons le Moi, nous sommes en possession de toutes choses.

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Et pourtant, il ne cesse ni d’œuvrer ni d’agir. En cela, réside l’originalité et la puissance de la Gîtâ : ayant affirmé pour l’âme libérée cette condition statique, cette supériorité sur la nature, cette vacuité même de tout ce qui d’ordinaire constitue l’action de la Nature, elle peut encore faire valoir des droits pour l’âme, lui enjoindre même de continuer à œuvrer, et ainsi éviter le grand défaut des philosophies simplement quiétistes et ascétiques – le défaut dont nous les voyons aujourd’hui tenter de s’échapper. « Tu as droit à l’action, mais à l’action seulement, jamais à ses fruits ; que les fruits de tes œuvres ne soient point ton mobile, que pas davantage il n’y ait en toi d’attachement à l’inactivité. »

Par conséquent, ce ne sont pas les œuvres exécutées avec désir par les védavâdis, ce n’est pas l’exigence que le mental énergique et remuant soit satisfait par une activité constante, exigence que fait valoir l’homme pratique ou cinétique, que l’on enjoint ici. « Fixé dans le Yoga, accomplis tes actions, ayant abandonné l’attachement, étant devenu égal dans l’échec et le succès ; car c’est l’égalité que l’on entend par Yoga. »

L’action est dégradée par le choix entre un bien et un mal relatifs, par la peur du péché et l’effort difficile vers la vertu ? Mais l’homme libéré qui a uni au Divin sa raison et sa volonté rejette loin de lui, ici même, en ce monde des dualités, les bonnes actions avec les mauvaises ; car il s’élève à une loi supérieure, par-delà le bien et le mal, fondée dans la liberté de la connaissance de soi.

Cette action sans désir ne peut être déterminante ni efficace, ne peut avoir de cause efficiente, de grand ni de vigoureux pouvoir créateur ? Que si : l’action faite en Yoga n’est pas seulement la plus haute mais la plus sage, la puissante et la plus efficace même pour les affaires du monde ; car elle est pétrie de la connaissance et de la volonté du Maître des œuvres : « le Yoga est l’habileté dans les œuvres. »

Mais toute action dirigée vers la vie éloigne du but universel du yogi, qui, admet-on communément, est d’échapper à la servitude de cette vie humaine marquée par l’angoisse et le chagrin ? Pas davantage ; les sages qui accomplissent les œuvres sans désir pour les fruits et en Yoga avec le Divin sont libérés de l’esclavage de la naissance et atteignent cet autre état, parfait celui-là, où il n’existe aucun des maux qui affligent le mental et la vie d’une humanité souffrante.

*

 

L’état auquel atteint le yogi est la condition brahmique ; il parvient à une ferme assise en le Brahman, brâhmî sthiti. C’est un renversement complet du point de vue, de l’expérience, de la connaissance, des valeurs, de la vision qu’ont les créatures attachées à la terre.

Cette vie des dualités qui est pour elles leur jour, leur veille, leur conscience, leur brillante condition d’activité et de connaissance, est pour lui une nuit, un sommeil agité et une ténèbres de l’âme ; cet état supérieur qui pour eux est une nuit, un sommeil où cessent toute connaissance et toute volonté, est pour le sage maître de lui-même sa veille, son lumineux jour d’existence vraie, de connaissance et de pouvoir vrais.

Les créatures sont des eaux agitées et bourbeuses que trouble la moindre irruption de désir ; le sage est un océan d’existence vaste et de vaste conscience qui toujours se remplit et cependant est toujours immobile en le grand équilibre de son âme ; tous les désirs du monde pénètrent en lui ainsi que des eaux dans la mer, et toutefois il n’a aucun désir, non plus qu’il n’est troublé.

Car tandis que les créatures sont emplies du troublant sens de l’ego et du mien et du tien, il est un avec le Moi unique en tous et n’a ni «moi» ni «mien».

Il agit comme les autres, mais a abandonné tous les désirs et leurs appétits.

Il accède à la grande paix et n’est pas déconcerté par les apparences des choses ; il a éteint son ego individuel dans l’un, vit en cette unité et, au moment de sa fin établi en ce mode d’être, peut atteindre à l’extinction dans le Brahman, dans le nirvâna — non point la négative annihilation de soi des bouddhistes, mais la grande immersion du moi personnel séparé dans la vaste réalité de l’Existence impersonnelle infinie et unique.

*

 

Unifiant subtilement sânkhya, Yoga et Védânta, telle est la première fondation de l’enseignement de la Gîtâ. C’est loin d’être tout, mais c’est la première et l’indispensable synthèse pratique de la connaissance et des œuvres avec une indication, déjà, du troisième élément de la plénitude de l’âme, le plus intense et qui la couronne, l’amour divin et la dévotion.

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